The Expanse T4 : Les Feux de Cibola, de James S.A. Corey, traduit de l’anglais (États-Unis) par Thierry Arson, Actes Sud, « Exofictions », 2017 (VO : 2014), 624 pages.
L’histoire
Les portes se sont ouvertes et les humains se ruent pour coloniser un millier de planètes. La première d’entre elles, llus, est baptisée dans le sang et la destruction. Des colons indépendants venus chercher une nouvelle vie se dressent avec leurs faibles moyens contre la puissance écrasante d’un vaisseau appartenant à une compagnie gigantesque bien décidée à exploiter les riches gisements de minerais, et des scientifiques innocents périssent alors qu’ils tentaient simplement d’étudier et de comprendre ce monde nouveau.
James Holden et son équipage sont désignés pour rétablir la paix et le bon sens. Mais plus il se penche sur la question, et plus il a le sentiment que cette mission était vouée à l’échec depuis le début. Et les murmures d’un mort lui rappellent que la grande civilisation galactique qui occupait jadis ce monde n’est plus… et qu’elle a été détruite par quelque chose.
Mon humble avis
Il est fort probable que des éléments d’intrigue des tomes précédents soient évoqués en passant dans cette chronique donc si vous souhaitez garder la surprise, vous pouvez aller jeter un œil aux chroniques des tomes précédents. Je n’ai pas chroniqué le troisième tome parce que je l’ai lu dans la période où je ne bloguais plus et je n’ai pris aucune note donc ça aurait peu de sens d’en faire une chronique des mois plus tard – même si j’ai complètement adoré !
Jusqu’ici, les auteurs de The Expanse ne m’ont pas déçue, comme à la lecture de chaque tome, celui-ci m’a donné une bonne « gueule de bois fictionnelle » qui ne donne pas du tout envie de quitter cet univers et ses personnages (heureusement que j’ai déjà le prochain tome dans ma bibliothèque).
Après la découverte des portes qui mènent à des centaines de systèmes solaires différents, il était évident que les humains s’empresseraient d’en visiter pour coloniser une planète avec une atmosphère respirable. Bien sûr, rien ne se fait sans soulever un tas de problèmes politiques avec la question primordiale : à qui va appartenir cette nouvelle planète ? Tandis qu’un groupe de Ceinturien·nes s’y est précipité et installé, la dénommant « Ilus », l’Organisation des Nations Unies a envoyé peu de temps après un vaisseau de scientifiques pour étudier la planète, « New Terra », et s’en saisir, à l’aide d’une équipe de sécurité. Comme on pouvait s’y attendre, la situation va très vite s’envenimer et Holden est envoyé, avec son équipage à bord du Rossinante, par la Terre et la Ceinture pour jouer les médiateurs.
“Yes, and our job is not to escalate that. Put all this shit away. Sidearms only. Bring clothes and sundries for us, any spare medical supplies for the colony. But that’s it.”
“Later,” Amos said, “when you’re wishing we had this stuff, I am going to be merciless in my mockery. And then we’ll die.”
C’est donc l’occasion de découvrir de nouveaux points de vue et personnages, telle qu’Elvi, une biologiste envoyée pour étudier les différents organismes de cette nouvelle planète. On trouve également les points de vue de personnages qu’on a déjà croisé. Basia par exemple, Ceinturien et ami de Prax, père de Katoa qui n’a malheureusement pas survécu aux expériences concernant la protomolécule. Basia a rejoint cette nouvelle planète avec sa famille et l’espoir d’un nouveau départ. Havelock, l’ancien partenaire de Miller sur Ceres, est engagé par la Royal Charter Energy comme responsable sécurité du vaisseau de scientifiques envoyés par la Terre. Enfin, on retrouve bien sûr Holden.
Je risque de le dire à chaque chronique de cette saga mais je suis impressionnée par les différences de points de vue, de façons de penser, de raisonnements, de vocabulaires des personnages selon qu’on lise ceux de Holden, Elvi, Basia ou Havelock. Tout fait qu’on incarne un personnage particulier, sans se poser de question, par exemple quand on lit le point de vue d’Elvi, étant donné qu’elle étudie la faune, elle compare et analyse énormément de choses en les rapprochant de fonctionnement d’organismes qu’elle connaît. Nul doute que les nerds de biologie apprécieront d’ailleurs ses découvertes : sans verser dans la hard SF puisqu’il ne s’agit pas du propos du livre entier, les scientifiques envoyés sur cette nouvelle planète sont bien amené·es à étudier sa faune, sa flore, sa géologie, etc.
If she felt any jealousy at all, it wasn’t for any of the particular relationships, but for intimacy itself. It would be nice to have someone to walk with in the darkness after the storm. Someone to wake up with in the morning. She wondered what the sexual politics were among the families of First Landing. If RCE had thought to send a social science team, it might have made a good paper.
Si j’ai eu un petit doute concernant le personnage d’Elvi, qui passait beaucoup de temps à fantasmer sur un autre personnage, un peu comme une lycéenne énamourée, la situation finit par faire sens et n’est pas un simple cliché (une preuve supplémentaire qu’on peut faire confiance aux auteurs) !
À présent qu’on connaît mieux l’existence de la protomolécule et de ses créateur·rice·s, on continue à en apprendre un petit peu plus sur elleux, mais toujours au compte-goutte. Tout montre en tous cas qu’iels étaient suffisamment savant·es, habiles et stratèges pour gérer plusieurs planètes à la fois, pour envisager l’avenir loin, mais il n’empêche que quelque chose ou quelqu’un a tout de même réussi à les exterminer. Ce fait va amener de plus en plus de tensions, dans ce tome-ci, mais probablement dans les prochains ! On garde donc cette ambiance remplie de mystères, d’inquiétudes et d’enquête qui était déjà présente dans les précédents tomes.
“God damn it, Miller,” Holden said, then ran out of energy mid-sentence. It was less fun being the chosen one and prophet when the gods were violent and capricious and their spokesman was insane and powerless.
Mais, à mon sens, le sel de cette saga repose bien sur ses personnages et leurs interactions entre eux (même si je ne renie pas du tout l’intérêt de l’intrigue autour de la protomolécule et de ses créateur·rice·s). Les auteurs continuent à nous présenter des personnages complets, complexes, avec leurs intérêts, passions et inquiétudes propres. Au delà des personnages eux-mêmes, c’est la réalité dans laquelle iels sont ancré·es qui fait qu’on s’y projette ou qu’on s’y attache si facilement. Par exemple, les Ceinturien·nes ayant eu l’habitude de vivre dans des vaisseaux sans gravité, iels ont dû suivre un entraînement et des supplémentations importants pendant tout leur voyage en prévision de rejoindre cette nouvelle planète à la gravité légèrement plus forte que celle de la Terre.
The Belter colonists from Ganymede had spent months on the Barbapiccola prepping for landing on Ilus. Loading up on bone and muscle growth hormones, working out under a full g until their bodies would be able to handle the slightly heavier-than-Earth gravity of the planet. Naomi didn’t have the time or inclination to radically alter her physiology for this one job. Holden had argued that she would have then been able to come to Earth with him after. She replied that she was never going to Earth, no matter what. They’d left it at that, but it was still a sore spot for him.
Et encore, il s’agit là d’une mention explicite aux différences entre Ceinturien·nes, Terrien·nes et Marsien·nes. Mais ce que je trouve encore plus savoureux, c’est toutes les mentions en passant, au détour d’une phrase, qui mettent en place notamment les différences culturelles de ces civilisations. Les Ceinturien·nes ont déjà leur propre langue, un mélange de plusieurs langues parlées sur Terre puisqu’il s’agissait de personnes de différents pays rassemblés. Mais le langage n’étant pas seulement parlé, iels ont également leur propre langage corporel, comme le fait de hausser les épaules en soulevant la ou les mains ou de soulever le point pour acquiescer. Il est possible que j’ai particulièrement apprécié ce genre de détail parce que j’adore la linguistique, d’ailleurs, il y a toute une page sur le Wiki de The Expanse au sujet du créole de la Ceinture (chacun·e son nerdisme).
“Roger that,” Havelock said with a nod. An Earthman’s nod. Tipping the head back and forth. A move totally invisible in a space suit. Without thinking about it, Basia tipped his fist back and forth to show him how to do it right. Havelock ignored him.
Petit point représentations et diversité : on a le point de vue d’une femme et de trois hommes (a priori tou·te·s cis et dont trois sont dans des relations hétérosexuelles), mais on trouve d’autres personnages non-blancs, une famille de deux femmes et leur fils, la mention d’un grand-père en relation avec un Allemand. Et toujours, comme dans les tomes précédents, les parents de Holden qui sont trois femmes et cinq hommes, mais aussi la neuroatypie (pas mentionnée en ces termes mais assez flagrante) d’Amos.
Holden surprised himself by laughing. “I’ve never seen Amos pick a fight he didn’t plan to win. I’m not sure what he had in mind, but even at five to one my money would be on him.”
“Everyone loses eventually,” Murtry said.
“Words to live by.”
“That’s quite the killer you have working for you, as critical as you are of my methods.”
“There’s a difference. Amos is willing to lose face to protect something he loves. He doesn’t need to win more than he needs to keep his friends alive. And that’s why you’re nothing alike.”
Je ne peux que recommander cette saga, et ce tome avec bien sûr. Je ne résiste pas à ajouter une dernière citation qui fait particulièrement écho à la situation actuelle :
Elvid nodded, already trying to think what the best way would be to bring the issue to Murtry’s attention. “Well, you let your side know, and I’ll tell mine.”
“All right,” Lucia said. And then a moment later, “I hate that it breaks down that way. Your side and mine. One of my teachers back in school always used to say that contagion was the one absolute proof of community. People could pretend there weren’t drug users and prostitutes and unvaccinated children all they wanted, but when the plague came through, all that mattered was who was actually breathing your air.”