Stella (Cyril Bonin – Editions Vents d’Ouest)
Il y a des couvertures qui attirent le regard comme un aimant. C’est le cas de celle de la BD « Stella », qui est à la fois belle et énigmatique. On y voit une femme vêtue d’une robe très élégante. Assise nonchalamment sur un fauteuil, elle regarde par la fenêtre de manière rêveuse. En regardant cette image, on n’imagine pas un seul instant que cette jeune femme, qui s’appelle Stella, a en réalité une particularité physique très spéciale, puisqu’elle n’a pas de nombril. Comment est-ce possible? La réponse est simple: elle n’a pas été conçue par des parents biologiques. Autrement dit, elle n’est pas sortie du ventre de sa mère. La vérité, c’est que Stella est une heroïne de papier. Son « papa » est un écrivain, qui répond au nom de Taylor Davis. Ce romancier new-yorkais a eu beaucoup de succès au début de sa sa carrière mais désormais, il écrit pour le plaisir, sans trop se soucier des ventes de ses livres. Et justement, il a pris beaucoup de plaisir à écrire son nouveau roman, qui raconte l’histoire d’une jeune femme dans les années 1950. Cette jeune femme, c’est Stella. En écrivant les dialogues de son roman sur son ordinateur, Taylor Davis avait déjà eu l’impression que son personnage lui répondait de manière indépendante. Mais un jour, après qu’il ait tapé le mot « FIN » sur son clavier, Stella apparaît dans son appartement, comme par magie. Forcément, le fait de la voir devant lui en chair et en os dépasse ses rêves les plus fous: tous les écrivains ne rêvent-ils pas de voir leurs héros de papier se transformer en êtres vivants, un peu comme dans Pinocchio? Hélas, une fois la (bonne) surprise passée, les ennuis ne font que commencer pour Stella. Car la jeune femme n’a évidemment jamais vécu dans le monde réel, elle se retrouve propulsée dans une autre époque que la sienne, et pour couronner le tout, elle n’a pas de papiers!
Le style de Cyril Bonin est reconnaissable entre mille. Ses dessins sont sensibles et élégants, à l’image de la magnifique robe des années 50 que porte Stella lorsqu’elle apparaît pour la première fois. Forcément, tout le monde se retourne sur la jeune femme quand elle se promène dans les rues de New York avec Taylor Davis, l’écrivain qui lui a donné la vie. En voyant déambuler Stella, on a un peu l’impression de retrouver la fraîcheur d’Audrey Hepburn dans « Drôle de frimousse » et le chic de Grace Kelly dans « Fenêtre sur cour ». Une fois de plus, le dessin et les couleurs de Cyril Bonin font merveille. Il y a quatre ans, on avait déjà pu apprécier sa patte tellement particulière dans « La délicatesse ». Il avait en effet signé une adaptation convaincante du roman de David Foenkinos, déjà transposé au cinéma avec Audrey Tautou et François Damiens dans les rôles principaux. Révélé par la série « Fog », qui se déroule dans le Londres du 19ème siècle, Cyril Bonin a aussi marqué les esprits ces dernières années avec les trois tomes de sa saga « Amorostasia », dans laquelle les personnes qui tombent amoureuses se retrouvent plongées dans un état catatonique. On l’aura compris: Cyril Bonin est un auteur qui aime les récits délicats et intimistes, mais en y insérant des éléments fantastiques qui viennent tout chambouler. « Stella » devrait donc plaire à ceux qui ont apprécié ses précédents albums, mais aussi aux amateurs de récits plus métaphysiques. Dans cet album, Cyril Bonin s’interroge en effet sur le processus de création et sur la relation entre un auteur et ses personnages. Au final, cela donne une BD aussi réussie qu’étonnante, même si elle va parfois dans des directions inattendues.