Pendant le confinement j’ai eu envie de me réfugier dans les mots d’un auteur que j’aime tant, John Steinbeck. J’ai ouvert Tortilla Flat avec les yeux d’une amoureuse transie, sachant très bien que j’allais retrouver une prose éblouissante au service de personnages simples et attachants, décrits avec humour et tendresse par un auteur qui les aime profondément.
Dès les premières pages j’y ai trouvé très exactement ce que j’étais venue y chercher. Danny, le personnage central de ce presque conte, est un joyeux bougre sans ambition ni projet jusqu’à ce que s’abatte sur lui la bonne fortune à travers un héritage aussi inespéré qu’inattendu. Du jour au lendemain, ce paisano sans le moindre sou se retrouve propriétaire de deux maisons et quasi rentier. Quasi seulement car pour qu’il y ait rente, faut-il encore que le locataire daigne payer son loyer. Or Danny, le cœur sur la main, va louer l’une de ses maisons à Pilon, un ami fauché comme les blés mais sincèrement motivé à lui verser un loyer. Mais chez les paisanos, l’argent ne tombe pas du ciel et a plutôt tendance à s’évaporer en alcool à mesure que des gallons de vin se mettent en travers de leur chemin, alors pour payer son loyer, Pilon a trouvé la solution. Il propose à son ami Pablo de venir vivre avec lui en échange d’un loyer qu’il reversera à Danny ! Mais comme on n’a que les amis que l’on mérite, Pablo se montrera à son tour incapable d’honorer sa dette, il faudra donc trouver un nouveau couillon pour régler ce foutu loyer.
Les paisanos sont purs de tout esprit commercial et indépendants du système compliqué des affaires américaines. Comme ils ne possèdent rien qui puisse être volé , exploité ou hypothéqué , le système ne s’est pas donné la peine de les inquiéter.
C’est cocasse, drôle et touchant à la fois de voir cette bande de copains se leurrer les uns les autres sur leur capacité à s’extraire d’un quotidien misérable – mais pas malheureux – qui leur va finalement si bien. Aucune bonne résolution ne tient face à un litron de vin chez les habitants de Tortilla Flat. En revanche, si l’alcool vient à manquer, tout un chacun saura rivaliser d’ingéniosité pour trouver de quoi s’hydrater le gosier. A chacun ses priorités et la leur n’a jamais été de devenir riche mais seulement de trouver de quoi continuer à vivre d’insouciance et de mauvais vin.
Après quelques chapitres, j’ai cru percevoir une morale bien trop simpliste à cette histoire, évidemment je me suis trompée. Pilon, Pablo et les autres ne sont pas là pour l’argent de Danny, les calculs ça leur passe complètement au-dessus de la tête. Ce que décrit Steinbeck dans ce roman c’est un état d’esprit un peu naïf et dénué de tout stratagème de pauvres gens qui prennent comme ça vient ce que le sort leur réserve sans chercher vraiment à améliorer leur situation. Et finalement, la compagnie de bons copains ainsi que le nécessaire pour se remplir la panse suffisent à leur bonheur. La nature humaine n’est pas toujours aussi mauvaise qu’on le pense et on s’en voudrait presque de leur avoir prêté d’aussi viles intentions.
Encore une fois Steinbeck aura réussi à mettre en pièces mes jugements hâtifs. C’est ce que j’aime chez lui : plus je le lis, plus j’aime mes semblables. Même si ça n’est pas mon roman préféré de cet auteur car un peu décousu à mon goût (il s’agit plus de saynètes dans lesquelles sont entraînées la bande de copains que d’une trame romanesque comme dans Des souris et des hommes ou A l’est d’Eden), je persiste à penser que lire Steinbeck devrait être déclaré d’utilité publique.
L’ESSENTIEL
Tortilla Flat
John STEINBECK
Editions Folio
Publié en 1935
251 pages
Genre : classique américain
Personnages : Danny et ses copains Pilon, Pablo, Le pirate, Jésus-Maria et Big Joe
Plaisir de lecture :
Recommandation : mille fois oui
Lectures complémentaires : toute l’oeuvre de Steinbeck dont Des souris et des hommes, A l’est d’Eden et La perle
RÉSUMÉ DE L’ÉDITEUR
« – Je vais tout te raconter. J’ai acheté deux gallons de vin et je les ai apportés ici dans le bois, puis je suis allé me promener avec Arabella Gross. J’avais acheté pour elle, à Monterey, une paire de pantalons de soie. Elle les a beaucoup aimés, si roses, si doux. Et puis, je lui ai aussi acheté une petite bouteille de whisky. Un peu plus tard, elle a rencontré des soldats et elle est partie avec eux. – Oh ! la détrousseuse de l’honnête homme ! »
TOUJOURS PAS CONVAINCU ?
3 raisons de lire Tortilla Flat
- C’est un roman à la fois drôle et tendre
- Il porte un regard attendri sur ceux qu’il appelle les paisanos, ces gens simples mi-paysans mi-vagabonds, ni espagnols ni mexicains mais un peu des deux et du reste
- La plume de Steinbeck est toujours aussi magistrale
3 raisons de ne pas lire Tortilla Flat
- C’est le premier livre de cet auteur que j’ai posé puis repris plusieurs fois
- La deuxième partie m’a un peu moins enthousiasmée que la première, particulièrement drôle
- Si vous n’avez encore jamais lu Steinbeck, ça n’est pas par celui-ci que je vous conseille de commencer
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