Et si on pouvait changer de peau?

Et si on pouvait changer de peau?

Peau d’Homme (Hubert – Zanzim – Editions Glénat)

L’histoire se passe dans l’Italie de la Renaissance. Bianca, une élégante jeune fille de bonne famille, vient d’avoir 18 ans. Ses parents estiment donc qu’il est temps de lui trouver un mari. Bianca craint un moment de devoir épouser le vieil Agnello, qui est veuf depuis peu, mais finalement, ce sera son fils Giovanni. Ce dernier a tout pour lui plaire: en plus d’être riche, il est également jeune et séduisant. Mais il en faut plus pour convaincre Bianca, qui est une jeune femme aux idées très avancées pour son époque. Ce qui la dérange surtout dans cette « négociation » entre ses parents et le père de Giovanni, c’est qu’elle se retrouve contrainte d’épouser un homme qu’elle n’a pas choisi et dont elle ignore tout. Pour lui changer les idées et la préparer à son mariage, la marraine de Bianca l’invite quelques jours chez elle. Elle en profite pour lui révéler un secret détenu et légué par les femmes de sa famille depuis des générations. Bianca est stupéfaite lorsque sa tante ouvre une caisse et en sort une véritable peau d’homme. Elle n’est pas au bout de ses surprises: en revêtant cette peau magique, Bianca se transforme en Lorenzo, un jeune homme à la beauté stupéfiante. Grâce à cette incroyable transformation physique, Bianca peut désormais visiter incognito le monde des hommes. Elle en profite évidemment pour approcher de près son fiancé, afin de mieux le connaître. Giovanni et elle vont rapidement faire plus que se découvrir, puisqu’ils vont carrément tomber amoureux et coucher ensemble. Tout va donc pour le mieux dans le meilleur des mondes? Par vraiment, car le problème, c’est que ce n’est pas Bianca qui plaît à Giovanni, mais Lorenzo!

Et si on pouvait changer de peau?

L’idée de « Peau d’Homme » est née d’une colère. Excédé par les manifestations contre le mariage pour tous, le scénariste Hubert décide il y a quelques années d’écrire un récit autobiographique sur sa vie d’homosexuel et sur sa relation compliquée avec la religion catholique. Mais après plusieurs essais infructueux, il se rend compte que cet angle d’attaque ne lui convient pas. Il trouve sa vie trop banale pour être le sujet d’un livre. Plutôt que d’aborder l’homophobie de manière frontale, il opte donc pour une fable médiévale, ce qui s’avère beaucoup plus efficace. Comme dans « Beauté », un conte de fées cruel sur le pouvoir dévastateur de l’apparence, Hubert utilise son récit – celui d’une jeune fille qui se transforme en garçon grâce à une peau magique – comme une porte d’entrée pour toute une série de réflexions existentielles. Il s’interroge particulièrement sur la liberté sexuelle très différente pour les hommes et les femmes, ainsi que sur la morale et la religion comme instrument de domination. Il le fait notamment à travers le personnage de Fra Angelo, l’insupportable frère moralisateur de Bianca. Ce religieux conservateur, qui passe son temps à pourchasser les autres pour cacher ses propres tentations, est l’incarnation même du fanatisme et de l’intolérance… Le livre « Peau d’Homme » est d’autant plus émouvant qu’il représente en quelque sorte le testament d’Hubert. Celui-ci a en effet mis fin à ses jours en février dernier, quelques semaines avant la sortie prévue de l’album. Sa disparition est une immense perte pour le monde de la BD, dans la mesure où Hubert était l’un des scénaristes les plus doués et les plus originaux de sa génération. Il le prouve une dernière fois avec cette BD superbement écrite, mise en images de manière pétillante et malicieuse par son vieux complice Zanzim.