Sweet home · Clair obscur · Ciel d'acier
Par Marie-Claude Rioux
Un petit billet dominical de plus, dans lequel je te parlerai de trois romans lus récemment: un roman ténébreux d’Arnaud Cathrine, un roman américain marquant de Don Carpenter et le très addictif Ciel d’acier de Michel Moutot.
Après J’entends des regards que vous croyez muetset Andrew est plus beau que toi, j’ai eu envie de poursuivre mon immersion dans l’œuvre de Cathrine. Sweet home est son cinquième roman, un roman à saveur familiale bien dosée, comme je les aime. Il y a cette famille: la mère, le père, l’oncle et trois marmots. Cette famille passe l’été dans leur maison en Bretagne. Focus sur un été, un deuxième, puis un dernier. Dans cette maison, il y a la mère qui traîne sa vie comme un boulet. Son mari, taiseux, qu’on dirait de trop. Son frère Remo, une ombre omniprésente. Et il y a les trois enfants — Lily, Vincent et Martin — qui font entendre leur voix à tour de rôle, sur une période de trente ans, à dix ans d’intervalle.Ce qui m’a le plus emballée, dans ce roman, c’est la façon dont Arnaud Cathrine l’a tricoté. L’alternance des voix, ici, est juste parfaite. J’ai aimé découvrir comment ces enfants parviennent à faire éclater leur propre vérité parmi les silences et les non-dits, comment ils vivent leur deuil et jonglent avec leur tragédie personnelle. Ça me fascine toujours de voir à quel point des enfants issus d’une même famille, éduqués dans le même milieu, développent des personnalités souvent opposées, réagissent aux drames familiaux qu’ils vivent de façon différente. J’ai adoré m’immiscer dans l’intimité de cette famille, sur le seuil de la porte, sans prendre de place. Les mots d’Arnaud Cathrine glissent doucement, délicatement, sans un mot en trop.«Drôle de génération, on vous a donné toute liberté et vous voilà tous égarés à ne pas savoir qu’en faire, sinon tout et n’importe quoi...»J’ai entendu dire qu’entre Arnaud Cathrine et Olivier Adam, il y avait une certaine parenté. Tu peux me dire si c’est vrai, parce que moi, j’aime beaucoup l’univers d’Arnaud Cathrine et j’ai envie depuis belle lurette de découvrir celui d’Olivier Adam.Sweet home, Arnaud Cathrine, Folio, 256 pages, 2007.★★★★★Ne me demande pas comment je suis tombée sur ce roman de Don Carpenter. Pourquoi celui-là? Il y a des romans qui viennent à nous, on ne sait trop comment. Clair obscur est de ceux-là. Un heureux hasard, disons.Irwin Semple est une victime. Mais lui, il ignore qu’il en est une. Irwin est très laid, boutonneux, incapable d’aligner deux mots sans s’enfarger dans sa salive. Une famille fuckée et méchante. Il est entouré de jeunes de son âge qui se foutent de sa gueule à tour de bras. Irwin continue à se frotter à eux, de près et de loin, jusqu’à la prochaine rebuffade.Semple n’était ni fou ni idiot, même s’il lui arrivait de passer pour l’un ou l’autre, ou les deux, mais de fait, il n’était pas non plus sain d’esprit au sens habituel du terme.La fin de l’adolescence se pointe. Irwin se retrouve dans un institut psychiatrique. Il y passe dix-huit longues années. Pour quelle raison s’est-il retrouvé dans ces mauvais draps? Quel acte ignoble a-t-il bien pu commettre?À trente-cinq ans, Irwin est relâché et se retrouve libre comme l’air, pas mal seul au monde. Il se trouve un petit boulot, prend ses habitudes. Tout ce qu’il veut, Irwin, c’est d’avoir une vie normale, simple. Un fantôme de sa jeunesse ressurgit. Irwin oscille entre besoin de reconnaissance et désir de vengeance. Ça se corseIrwin Semple est un personnage à la fois fascinant et inquiétant. Le genre de gars qui ne demande pas grand-chose, juste quelques miettes d’attention. Mais même ça, c’est trop demander. Le style de Don Carpenter m’a un brin essoufflée au début. Ses phrases n’en finissant plus de se dérouler (j’apprécie les phrases plus courtes, hachées). Ça m’a pris un petit bout avant de trouver mon air d’aller. Mais une fois en marche, j’étais scotchée.Un roman saisissant, fracassant, qui explore la norme et les marges avec une puissante acuité. Un roman animal sur les forts et les faibles dont on abuse. La cruauté humaine ne cessera jamais de m’enrager. Publié en 1967, le deuxième roman de Don Carpenter n’a pas pris une seule ride.Clair obscur, Don Carpenter, trad. Céline Leroy, Cambourakis, 160 pages, 2019.★★★★★Je suis rarement attirée par les romans historiques. Ce n’est pas trop ma tasse de thé. Mais s’il est question d’Indiens mohawks, du 11 septembre 2001 et du Pont de Québec, forcément, je change mon fusil d’épaule et j’ai envie d’en boire une tasse. Ce que j’ai fait.Ça construit fort, dans ce roman. Des gratte-ciels et des ponts. À New York et à Québec. Michel Moutot retrace un pan de l’histoire de l’Amérique du Nord à travers trois générations de Mohawks. John LaLiberté, fouillant les décombres du World Trade Center à partir du jour des attentats du 11 septembre 2001, jusqu'à l’inauguration de la Liberty Tower en 2012. Son père, Jack LaLiberté, participant à la construction des tours jumelles dans les années 1970. Son ancêtre Manish LaLiberté, travaillant sur le pont de Kahnawake, qui chevauche le Saint-Laurent, en 1886, puis sur le Pont de Québec, qui s’écroula en 1907 (pour être ensuite reconstruit).Trois générations de Mohawks, avec tout ce qui en découle: solidarité, rivalité, racisme ambiant, amitiés, un petit soupçon de romance. Le ton journalistique s’entremêle judicieusement avec la fiction. La construction du roman, avec ses bonds dans le temps et ses retours en arrière, sied bien à ce type d’intrigue. Quelques détails techniques m’ont semblé de trop, voire inutiles. Mais à tout prendre, c’était mieux trop que pas assez. On en apprend, des choses, dans ce roman, notamment le dépoussiérage de la légende prétendant que les Mohawks n’ont pas le vertige, ce qui les aurait rendus plus à même de pratiquer le métier d’ironworkers. Tout ce qui s'est passé dans les décombres du Word Trade Center m’a horrifiée. Et l’histoire entourant l’effondrement du pont de Québec, situé à quelques kilomètres de chez moi, m’a tout autant traumatisée. Michel Moutot a le don de mettre ses mots en scène.Un roman captivant et addictif. Le roman parfait pour mieux passer l’été.Ciel d’acier, Michel Moutot, Points Seuil, 456 pages, 2016.★★★★★