Je vous propose un nouveau rendez-vous hebdomadaire, initié par Ma Lecturothèque : les premières lignes d’un livre que j’ai lu et apprécié, chroniqué ou pas.
Pour ce quatrième billet, voici un extrait du Reflex, de Maud Mayeras.
« Je n’aime pas le silence, il appelle les mauvaises pensées.
Je laisse souvent entrer les bruits. Le ronflement des moteurs et les mots roturiers des piétons. Ils pénètrent par la fenêtre et me rassurent. Les chuintements, les claquements, les cris, les rires, les raclements. Le bruit du frigo, le sifflement des moustiques. Les vibrations de mon téléphone contre le bureau laqué, comme les palpitations d’un coeur à l’étroit.
Et, chaque fois, le même phrasé trivial au bout du fil, les mêmes gorges calcinées, gavées de fumée jusqu’aux lèvres. Et cette question qui revient sans cesse : Tu es disponible, Iris ?
Je suis toujours disponible.
Les appels que je reçois sont souvent anonymes. Généralement émis par d’autres portables, ils proviennent parfois de cabines téléphoniques, d’appartements particuliers, de bureaux. Mais l’objectif visé reste identique.
Je raccroche, ouvre mon sac et y fourre les mêmes affaires, dans le même ordre. Le rituel est invariable. Trois culottes, un soutien-gorge, trois paires de chaussettes usées. Un jean, deux tee-shirts. Un pull. Un paquet de clopes entamé. Dans la poche avant de mon sac à dos, le strict nécessaire d’hygiène est déjà rangé : une brosse à dents, du dentifrice, un peigne, du shampoing et du gel douche bas de gamme. Des flacons minuscules, des échantillons volés au hasard des hôtels, jamais jetés, juste entassés au fond de ce sac abîmé qui ne me quitte plus depuis des années.
Mon reflex, batterie chargée, deux objectifs, un flash.
Je ne connais que rarement les lieux où l’on m’envoie, je les découvre sur place et ne m’attache qu’à une surface limitée, quelques mètres carrés d’horreur, de silence et de solitude. Alors j’immortalise un moment déjà figé depuis des heures, parfois des jours. Je mitraille des scénettes immobiles aux personnages paralysés. Des traces de sang, des cheveux, des yeux voilés. »
365 pages – Editions Anne Carrière – Paru le 03/10/2013
Présentation éditeur :
Perdre un enfant est une maladie que l’on a peur de contracter. C’est une contagion dont on évite soigneusement les infectés. On change de trottoir, on les fuit à toutes jambes.
De ces gens-là, je suis la peste et le choléra. Je suis leur faucheuse, leur cancer, leur 22 long rifle. »
Iris, photographe de l’Identité Judiciaire, shoote comme d’autres boivent. Pour apaiser la douleur. Pour oublier la mort de son fils, Swan, sauvagement assassiné onze ans auparavant.
Lorsque la canicule assèche la ville, lorsqu’elle détrempe les corps et échauffe les esprits, alors, les monstres se révèlent.