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Editions: Fest’ Africa (2000) / Le figuier (2000)
Auteure : Monique Ilboudo
Illustration : Bruce Clarke
Genre: Roman
Nombre de pages : 75
Pays : Burkina Faso
Thèmes traités: Violence. Génocide. Rwanda
Durée / Contexte : Je n'ai pas compté les minutes , absorbée le temps de prendre mon petit déjeuné et c'était fini. J'ai choisi ce titre pour mon challenge Passeport Littéraire Edition 2020.
Infos supplémentaires : Cette œuvre s’intègre dans le projet collectif « Rwanda : écrire par devoir de mémoire » initié par le festival Fest’Africa (association Arts et Média d’Afrique). La fondation de France a produit les travaux dans le cadre de son programme « Initiative d’artiste » qui soutient les artistes désireux de se confronter directement à des enjeux de la société.
Elle se prénomme Murekatete! Un prénom d'espoir qui veut dire "Laisse-la vivre." " Laisse-la se sentir à l'aise". Un prénom choisi par son père parce qu'elle est le bébé miracle que tout le monde croyait mort à la naissance mais qui a ressuscité dans les bras de sa mère.
Murekatete avait tout pour être heureuse : des parents qui s’aimaient, la beauté, une fratrie qu’elle chérissait, un papa intellectuel, très engagé politiquement. Elle décide de ne pas pousser ses études pour devenir nonne. Et c’est dans un couvent qu’elle rencontre Nicodème, son futur époux. Par amour, il quitte la soutane et elle, ne fait pas ses vœux. Un mariage maudit par tous et la voilà accablée d’un autre « péché » après celui d’être mi « Hutu » mi « Tutsi ». Le couple damné aura deux enfants, fruits de leur amour.
La mort est omniprésente dans ce roman. Teta la côtoie depuis sa naissance. Elle perd famille et amis durant la tragédie qui frappa le Rwanda, le pays des mille collines, en 1994.
Teta, la miraculée, échappera aux griffes de la mort une deuxième fois. Sauvée par Venant, qui l’aimait, elle s’accrocha à la vie. N’était-elle pas une survivante ? Cela aurait pu la réjouir mais c’était sans compter sur les conséquences de cet ethnocide, de cette torture, de ce mal qui la hantaient jour et nuit. Elle culpabilisait et se demandait pourquoi elle respirait toujours.
« Pourquoi moi ? Pourquoi pas les autres, mes enfants, ma mère ? »« Ai-je eu raison de demeurer ? »
Battue et torturée, elle reprend ses forces peu à peu mais son âme est à jamais meurtrie. Cette douleur muette l’empêche de s’épanouir dans son couple. Elle refuse toute intimité à son sauveur devenu son époux. Elle l’aime mais ne peut mener une vie normale. Chaque nuit, des cauchemars s’invitent pour la torturer davantage. Et c’est pour cela, qu’elle décide de faire une sorte de pèlerinage sur les lieux du génocide. Elle veut avoir des réponses à une question : « Pourquoi ? »
"Peut-être la visite de ces charniers m’aiderait-elle à m’éloigner de mes affreux cauchemars et à retrouver plus de sérénité ?"
A Murambi, le couple sillonne les galeries mortuaires. La description des lieux et des « hôtes silencieux » est horrible. A travers les yeux de Teta, j’imaginais ces corps conservés grâce à la salaison, ces regards figés… Et j’ai fait ce qu’il ne fallait pas faire. J’ai cherché des photos. J’ai regardé des vidéos. Ce n’est pas possible que des humains aient été capables de faire cela. J’essayais de trouver une explication. Je repense à ce qu'avait dit Teta : Avons-nous tous un monstre en nous capable de se réveiller pour commettre des atrocités ?
Après cette visite sur les sites, gardiens de la mémoire, Venant n’est plus le même. Le couple ne sera plus ce qu’il était.
Une séparation. Un abandon. Des souvenirs. Une mémoire…. Teta dépérissait à vue d’œil
Murekatete n’est qu’un personnage choisi par Monique Ilboudo pour écrire le Rwanda. Un devoir de mémoire. Je me demande combien de Murekatete sont aujourd’hui recroquevillées dans un coin, s’interdisant de rêver à des jours meilleurs, parce qu’elles ont peur que le cauchemar recommence.
Ce petit livre de 75 pages est bouleversant et je n’ai abordé qu’une partie pour vous en parler aujourd’hui. Il y a tant de sujets à développer.
Monique Ilboudo a une écriture percutante. Je ne sais pas si l’adjectif exprime ce que je veux dire. Elle est accessible mais frappante et pointilleuse. Elle a su choisir les mots clés pour nous garder concentrer sur l’essentiel : le drame d’un peuple si bien représenté par un couple. Vingt-et-un petits chapitres qui alternent la vie de Teta avant et après le génocide.
"J'aime Venant. Du plus profond de mon coeur meurtri. De toutes les forces de mon corps mutilé. Je sais qu'il m'aime. Mais je suis morte. Depuis bien longtemps."
"Il me donna un nom de rêve : Murekatete., "laisse-la vivre"! laisse-la se sentir à l'aise. Le message était clair"
"Oui je suis le bourreau aux mains pleines de sang. Je suis l bourreau au cœur de roc. Je suis le bourreau et j'en suis fier. J'ai tiré sur des hommes en fuite. J'ai violé de jolies filles en fixant leurs regards apeurés, puis je les ai dépecées. J'ai défoncé les crânes d'enfants en pleurs, les arrachant du dos de leurs mères en larmes."
"Mourir est donc naturel,et nous l'acceptant en naissant. La mort anormale est celle qui fauche des êtres sains, dans la force de l'âge, des enfants en pleine croissance, des fœtus à l'abri dans le sein maternel. La mort n'est pas normale lorsqu'elle frappe collectivement des êtres qui n'aspirent qu'à vivre.Des êtres dont le seul crime est d'être né d'un bord et pas de l'autre."