Les silencieux n'en pensent pas moins, Azelma Sigaux
N.B. : Cette histoire se déroule chronologiquement après Les Éphémères sont éternels, du même auteur. Pour autant, les deux livres peuvent se lire indépendamment et dans l'ordre qui vous plaira.
Un grand merci à Azelma Sigaux pour l'envoi de ce volume (et la petite dédicace).
Puis, au fond de ses entrailles, le garçon ressentit une douleur qui ne lui appartenait pas, et qui par sa violence le cloua au sol. D'un coup, une série d'images envahit son cerveau. D'abord, une scène montrant des hommes enchainés, fouettés, puis vendus. Ensuite, la vidéo d'une souris découpée vivante, patte par patte, sur ce qui ressemblait à un établi de laboratoire. Puis, celle d'un oiseau amaigri, mourant péniblement de faim. Un bosquet brûlant de l'intérieur sous l'effet des herbicides à peine déversés. Une femme s'immolant par le feu devant une entreprise. Un requin amputé de son aileron, chutant conscient, mais inerte, au fond de l'eau. Un arbre tronçonné. Une abeille désorientée, asphyxiée. Un enfant frappé. Un dromadaire s'écroulant de fatigue sous le poids de touristes obèses. Une foule de manifestants tentant d'échapper aux balles des policiers. Un blaireau violemment déterré par un chasseur et sa horde de chiens. Un enfant observant son père se faire exécuter en pleine rue. Une tribu d'indiens pendus à la branche d'un arbre. Un ours polaire dans un désert. [...] Déjà terrifiants par eux-mêmes, les clips s'accompagnaient de sons, et surtout de sensations. Harold vivait les événements autant qu'il les voyait. Il étouffait en même temps que le poisson sorti de l'eau. Il agonisait comme l'homme assis sur cette chaise électrique. Il pâtissait tout autant que le grand chêne scindé en deux.
yant beaucoup aimé le " premier tome " (bien que, comme l'indique l'autrice, il est parfaitement possible de lire celui-ci sans avoir lu Les éphémères sont éternels ... mais personnellement, je vous le recommande tout de même très chaudement), j'étais vraiment curieuse de découvrir ce qui allait advenir maintenant que le sérum d'immortalité n'existe plus. D'un côté, je voulais croire que l'autrice allait nous dresser le portrait d'un futur " radieux ", d'une humanité qui aurait appris de ses erreurs pour reconstruire un nouveau monde plus harmonieux ... mais je me doutais que ce n'allait pas être le cas. En effet, bien que ça fasse un peu mal au cœur de l'admettre, mais je sais bien que l'homme retombe aisément dans ses pires travers. C'est donc un futur bien sombre que nous dépeint ici l'autrice : un futur où les hommes, au nom de la sacro-sainte croissance économique qui assure le petit confort des plus riches au détriment de la masse des plus pauvres, recommencent à polluer et à piller les ressources naturelles de plus belles. Un futur où les hommes sont prêts à tout ... sauf à faire des efforts. Le portrait n'est pas très reluisant, mais il est bien malheureusement très fidèle ...
omme je m'y attendais, c'est donc un véritable plaidoyer que nous offre l'auteur sous le couvert de la fiction ... Un plaidoyer en faveur de la nature, de notre Terre, de nos frères les animaux, que nous décimons, que nous détruisons, que nous anéantissons sans vergogne pour notre petit confort personnel. Tous ces opprimés silencieux, victimes de notre soif de " toujours plus ", de notre sentiment de supériorité, de notre inconscience également. Car saccager ainsi notre planète, c'est nous conduire nous-même à notre propre perte, c'est couper la branche sur laquelle on est assis ... " La plupart sait tout ça depuis longtemps, mais ne veut pas voir la vérité en face. Les gens préfèrent l'ignorer, ou considérer les victimes comme des objets insensibles. C'est plus simple comme cela. Sinon, ça reviendrait à tout remettre en question ... Y compris le mal qu'ils ont eux-mêmes causé, indirectement ou non " : ces propos de l'Arbre, ils sont d'une justesse inouïe. Ils décrivent bien l'engrenage infernal dans lequel nous sommes enfermés. Nous savons pertinemment bien que la Terre ne pourra pas suivre la cadence bien longtemps ... mais comme pour y remédier, il faudrait nous-mêmes faire quelques sacrifices, on se contente de hausser les épaules en se disant qu'il est trop tard pour faire marche arrière et que, du coup, il faut se contenter de profiter.
e livre ne nous apprend donc rien : il ne fait que mettre en lumière, en évidence, en valeur, tout ce que nous souhaitons volontairement occulter, oublier. Il nous oblige à faire face à nos propres contradictions, à ôter nos œillères pour voir la vérité en face. Comme Harold et Jeanne, ces deux jeunes gens perdus qui ont fini par trouver le sens de leur existence, l'autrice se faire la porte-parole de la Terre, des animaux, de ces hommes, femmes et enfants qui subissent nos lubies d'hommes " civilisés ". Et par la même occasion, elle nous rappelle tout ce que la nature a à nous offrir : l'émerveillement et l'apaisement, la beauté et la sérénité, la sagesse et la simplicité. Certains passages m'ont tiré les larmes aux yeux : ce moment où Harold - dont je me sens très proche vu que je suis hypersensible, et donc régulièrement " agressée " par les émotions environnantes qui me submergent et m'angoissent - trouve la paix en s'appuyant contre un arbre, ce moment où il a aidé une maman fourmilier à retrouver son bébé ... Des petits instants de grâce qui s'opposent par leur douceur à tous ces passages qui nous relatent la cruauté humaine : quand les soldats oppriment ce peuple innocent et insouciant dans leur quête d'un nouveau bogo, quand ces mêmes soldats " foncent dans le tas " et déracinent des centaines d'arbres en écrasant des milliers d'êtres vivants pour ne frayer un chemin dans la jungle ...