Pour la réalisatrice Laetitia Colombani, autrice de deux films en 2002 et 2008, les débuts en littérature n’ont pas signifié l’abandon du cinéma. Son premier roman, La Tresse, paru en 2017, sera adapté au grand écran par elle-même. Convaincre un producteur n’a pas dû être difficile. La Tresse s’est vendu à plus d’un million d’exemplaires, en 36 langues différentes !
L’intrigue tire sa force de sa simplicité. Le roman « tresse » le destin de trois femmes qui se battent pour leur survie. Smita, une misérable dalit (intouchable) d’Inde, quitte son village en pleine nuit pour trouver meilleure fortune à Calcutta, où elle commence par faire offrande de ses cheveux au temple, selon le rite hindou du chudakarana. Une Sicilienne, Giulia, redresse l’entreprise de perruquerie de son défunt père grâce à l’importation des cheveux indiens récupérés après ce rite. Sara, enfin, businesswoman canadienne, s’achète l’une de ces perruques fabriquées par Giulia à Palerme, pour faire bonne figure après la chimiothérapie qui l’a rendue chauve ; car, depuis que son cancer est de notoriété publique, elle a le sentiment que ses patrons la considèrent comme une moins-que-rien, une « intouchable »… la boucle est bouclée.
Le roman tresse un lien féministe entre ces trois histoires. Voilà trois « Glorieuses », trois « Culottées », trois femmes courageuses qui se battent, chacune à sa manière, pour leur existence. Lorsqu’elle évoque leur combattivité et l’énergie du désespoir qui les anime, l’autrice a des formules lyriques, à la fois simples et réussies. Quant à moi, j’ai pleuré dans les dernières pages, et je n’ai pas de mal à comprendre la pluie de prix littéraires et de critiques positives qui s’est abattue sur ce titre.
Mais puisque les éloges sans nuance sont toujours suspects, qu’on me pardonne au moins cette remarque. Les éditions Grasset, et quelques journalistes irréfléchis, ont qualifié ce roman de « tresse d’espoir et de solidarité ». L’espoir, d’accord, mais la solidarité n’apparaît nulle part dans ce roman ! Chacune de ces trois femmes se bat pour sa propre petite personne et rien d’autre – ainsi, Smita abandonne son époux et ses proches pour se refaire une vie toute seule. Leur intérêt égoïste sert l’intérêt égoïste d’autrui, tout ainsi que le décrivait le fondateur de la théorie économique libérale Adam Smith. Mais ce serait un extraordinaire abus de langage, que d’appeler ce capitalisme libéral un système de « solidarité », et encore moins de solidarité féminine. Si vous voulez faire enrager à mort les féministes communistes comme Silvia Federici, offrez-leur ce roman.
Laetitia Colombani, La Tresse, éd. Grasset, 2017, 224 p., 18€.