Gravé dans le sable
de Michel BUSSI
Déjà le onzième billet de ce rendez-vous hebdomadaire, initié par Aurélia du blog Ma Lecturothèque : les premières lignes d’un livre que j’ai lu et apprécié, ou qui se trouve toujours dans ma PAL.
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480 pages – Éditions Presses de la Cité – Paru le 15/06/2017
« Ils montèrent au ciel d’un jour où il tombait des cordes. » Cette phrase hantait Oscar. Il avait dû lire ça quelque part, il n’y a pas longtemps. Ou bien il l’avait entendu quelque part, de la bouche d’un con. Ça manquait pas de cons capables de dire cela, sur cette péniche. De cons se prenant pour des prophètes. De cons devenus mystiques, deux ou trois jours avant le Jugement dernier.
Oscar enfonçait sa grosse tête ronde dans le hublot et regardait les cordes tomber. On ne distinguait plus rien dehors, ni l’eau du port, ni le ciel, ni les bâches grises dissimulant les péniches, à peine la lumière clignotante d’un phare, ou d’un bar, enfin juste d’une vie quelconque dehors, loin.
Sûr qu’il en tomberait, des cordes, ce putain de 6 juin, sur cette putain de plage, là-bas en face. Sûr que l’eau serait glacée, que le sable serait lourd et lui collerait aux bottes, si jamais il l’atteignait, ce sable… Sûr qu’il ferait un temps pourri, histoire qu’ils ne quittent pas cette terre avec trop de regrets.
Sûr qu’il tomberait des cordes !
Oscar pensa alors bêtement que toute sa vie, il n’était jamais parvenu à monter à une corde, ni à l’école, ni lors des entraînements avec le commando. Il était toujours resté planté à un mètre du sol comme un gros cochon suspendu. Il sourit. Cela prouvait bien qu’il n’avait rien à faire ici, dans cette péniche, parmi ces héros inconscients…Ces héros étaient exactement cent quatre-vingt-huit, cent quatre-vingt-sept sans compter Oscar Arlington. Cent quatre-vingt-sept jeunes Américains composant le 9e Rangers, tous serrés dans cette péniche, tous supportant sur leurs épaules le poids de l’une des missions les plus délicates du débarquement de Normandie : se rendre maîtres de la Pointe-Guillaume.
La Pointe-Guillaume se présentait comme un piton rocheux dominant la falaise normande, coiffé d’un blockhaus et hérissé de canons ; elle était considérée par les stratèges comme l’un des sites les plus importants de l’opération Overload. Dans la péniche s’entassaient donc cent quatre-vingt-sept jeunes volontaires américains enthousiastes, pétant de santé à grimper et redescendre depuis un mois les falaises anglaises, facilement maintenant, ayant désormais la main ferme, sans vertige, bruyants le soir au bar, buvant et riant, fiers et confiants, en eux, en leur étoile, dans les étoiles de ce drapeau protecteur qu’ils devaient aller planter en haut de la Pointe-Guillaume.Pourtant, dans la plus grande salle de la péniche, la salle qu’on utilisait habituellement comme bar, un silence absolu régnait. On avait rangé les cartes, les bières, les dés, tout ce qui servait à tuer le temps sous la bâche. Les cent quatre-vingt-huit rangers s’y tenaient serrés. Certains, comme Oscar, appuyés contre un hublot, d’autres ayant réussi à s’asseoir sur un coin de table ou de tabouret, quelques uns à terre, la plupart restaient simplement debout. Ces cent quatre-vingt-huit jeunes Américains, le crâne rasé à faire peur, ordinairement pleins d’histoires salaces et de pensées cochonnes, se regardaient muets. Ça puait l’humidité, ça puait la promiscuité suante, ça puait la respiration forte, ça puait comme dans un vestiaire de football. Mais pas un ne disait un mot…
Le vestiaire de l’équipe qui aurait perdu. Où chacun attendrait la punition, où chacun espèrerait qu’elle tomberait sur un autre. Les cent quatre-vingt-huit paires d’yeux regardaient au centre de la pièce un petit tabouret tout bête avec dessus un casque posé.Simplement un casque, fixé par tous comme la statue d’un diable.
Mais qu’est-ce que je fous là ? pensait Oscar.
Oscar suait, suait encore plus qu’un autre. C’était d’une telle évidence, il n’avait rien à faire parmi ces sportifs rasés. Il n’avait rien à faire ici, parmi ces rangers. Ils étaient tous grands, forts, bronzés même sous la pluie anglaise. Lui était petit et grassouillet.
Mais qu’est-ce que je fais là ?
Qu’est-ce que je vais aller foutre sur cette plage ?
Ils vont me dégommer tout de suite, gros comme je suis… Je ne pourrai même pas me planquer derrière un autre. Même le plus myope des soldats allemands ne pourra pas me rater !
Et tout cela par la faute d’une seule personne.
Oscar Arlington ferma un instant les yeux.
Emilia Arlington, sa propre mère. Parce que bien sûr, maman voulait que son fils soit un héros. Bien sûr, elle avait insisté pour que son fils fasse partie des rangers, si possible ceux qui allaient se taper la grimpette de la Pointe-Guillaume.
Merci, maman. Salope ! Un héros, moi ! Grimper en haut de la falaise en rappel ! J’ai déjà peur dans mon lit, du haut de ma mezzanine, et pas seulement quand j’étais petit. Encore maintenant. S’il existe encore un maintenant.
Et tous ces jeunes cons de rangers qui rêvent de gloire, qui croient que les Boches vont se sauver dès qu’ils verront un bateau. On va tous crever le cul trempé et la gueule dans le sable, face à un mur de craie.
Résumé:
Quel est le prix d’une vie ?
La veille du Débarquement en Normandie, face à une mort certaine, que seriez-vous prêt à promettre pour échanger votre place ? Et que vaudra cette promesse, après la guerre, alors que tous les témoins seront morts ou disparus ?
Lorsqu’une jeune veuve, Alice Queen, découvre des bribes de vérité, vingt ans plus tard, que peut-elle prouver ? Alice décide pourtant de fouiller le passé et de s’engager dans une quête improbable qui va la mener de la Normandie aux quatre coins des Etats-Unis…
Autour d’elle, chacun croit connaître la vérité et semble résolu à tuer pour la protéger – une sénatrice américaine inflexible, une jolie normande en quête de vengeance, un détective privé amoureux, un tueur à gages atypique.
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