Esther, Sharon E. McKay
Editeur : l’école des loisirsNombre de pages : 376Résumé : En 1735, Esther Brandeau a quatorze ans. Fille illégitime d’un marchand d’étoffes réputé, elle vit dans le sud de la France. Sa famille veut arranger un mariage avec un chiffonnier afin de préserver sa réputation, et Esther s’enfuit. Mais la vie sur les routes est pleine de dangers pour une jeune fille, juive de surcroît. Alors Esther se travestit et elle va vivre plusieurs vies : tour à tour protégée d’une courtisane, boulanger, matelot, elle devra, pour se sauver des périls, changer plusieurs fois d’identité. Elle traverse l’océan et arrive à Québec. Mais, à cette époque, la Nouvelle-France est une colonie catholique, et l’entrée en est interdite aux personnes de confession juive. Jusqu’où Esther sera-t-elle prête à aller pour accomplir son destin ?
- Un petit extrait -
« Que n’ai-je appris d’Esther Brandeau que la vie est une longue suite de possibilités ! Si seulement j’avais compris ce que cette jeune fille avait compris depuis toujours, à savoir que, quelles que soient les suites de circonstances qui puissent changer notre destin, le plus grand don de Dieu reste la liberté de choix. »- Mon avis sur le livre -
Depuis que je suis toute petite, l’histoire a toujours été une matière que j’adorais et détestais en même temps : d’un côté, découvrir le mode de vie et les événements qui ont jalonné l’existence de ces milliards de personnes qui nous ont précédés sur cette terre m’a toujours passionnée, mais de l’autre, ce que nous apprenions concrètement en cours d’histoire m’a au contraire toujours ennuyée et frustrée. Déjà parce qu’on nous rabâchait année après année le même contenu sur les mêmes trois périodes de l’histoire de France, et ensuite parce qu’on se contentait de nous faire ingurgiter des dates qui ne nous apprenait finalement rien de la réalité de la vie quotidienne à l’époque …. J’aurai donc pu me tourner vers les romans historiques, malheureusement, la plupart de ceux que j’ai croisé jusqu’à présent étaient plus des sortes de romances sur simulacre de fond historique qu’autre chose, et je me suis vie lassée … Et puis, j’ai reçu Esther via mon abonnement de l’école des max, un roman historique inspiré d’une histoire vraie, ma curiosité était titillée !
D’aussi loin qu’elle se souvienne, Esther, quatorze ans, a toujours été le vilain petit canard de la famille, sans trop savoir pourquoi elle était l’objet de tous les commérages et regards hostiles quand elle traversait le quartier juif pour aller au marché. Comment aurait-elle pu deviner la terrible vérité : qu’elle n’est pas la fille adorée de ses deux parents, mais bien la fille illégitime que son père a eue avec une femme décédée peu après lui avoir donné la vie. Par sa seule naissance, Esther a déshonorée toute sa famille, et la marieuse a eu toutes les peines du monde à trouver un parti acceptant de la prendre pour femme, moyennant que sa dot soit triplée et qu’elle aille passer plusieurs mois chez une tante qui lui confirmera que cette bâtarde saura être une bonne épouse et mère de famille … Mais Esther n’a pas l’intention d’épouser le vieux chiffonnier, n’a pas l’intention de subir toute sa vie ces brimades et pincements de lèvres méprisants. Alors, quand le naufrage de son navire lui donne l’occasion d’échapper à cette destinée, elle n’hésite pas et prend la fuite. Mais le monde est plein de dangers pour une jeune fille esseulée, juive de surcroit, dans une société où ces derniers sont parqués dans des quartiers bien séparés de ceux des "gentils", les catholiques, qui les voient comme l'incarnation du diable …
Le seul véritable « reproche » que je puisse faire à ce roman, c’est d’être supposément destiné aux 11-13 ans : j’ai personnellement le sentiment que l’histoire est bien trop rude pour être placée entre de si jeunes mains … Bien que je reconnaisse qu’à cet âge, l’intérêt du lecteur soit attiré uniquement par l’aspect « grande aventure » que revêt l’épopée d’Esther : quel pré-adolescent n’a jamais rêvé de voguer à travers les flots sur un majestueux navire à voiles ? de parcourir le monde sans la moindre entrave pour l’empêcher d’aller où il l’entend ? Car voici finalement ce qui pousse cette jeune fille à prendre tant de risque : se libérer de toutes les chaines qu’on comptait lui passer aux poignets. Au gré de ses pérégrinations, Esther va vivre mille vies, va vivre des milliers de petits bonheurs qui sont, finalement, bien plus forts que les embuches, que les déconvenues, que les dangers. Esther nous apprend l'espoir, l'espérance d'une vie meilleure. Elle nous entraine sur sa route, toujours vaillante, courageuse, déterminée, malgré les peines et la peur du lendemain. Et on a qu'une seule envie : se laisser porter, toujours plus en avant. Et alors, ce roman se lit d'une traite, et même si c'est toujours aussi difficile, on arrive à sentir l'excitation du voyage et de l'inconnu prendre le dessus sur les doutes et les inquiétudes.
Malgré tout, le lecteur adulte ne peut ignorer les cruelles réalités qui parsèment l’aventure d’Esther … Pour survivre, il va lui falloir tantôt ramper aux pieds de terribles matrones qui l’exploitent comme une esclave, tantôt devenir la protégée d'une courtisane qui compte sur sa beauté juvénile pour s'introduire à la cour du roi, tantôt se travestir et devenir un jeune matelot, tout en cachant, seconde après seconde, sa véritable confession. Ce roman nous offre un portait saisissant de ce que peut être le destin d'une adolescente esseulée dans les années 1730, et ce n'est pas bien glorieux. D’autant plus que sur sa route, Esther croise bien d’autres horreurs : des dizaines d’esclaves noirs entassés dans des cages en bois, fouettés s’ils ont le malheur de prononcer un simple mot, l’allégresse populaire suscitée par une pendaison publique, les comptines enfantines qui récapitulent toutes les haines, tous les préjugés, toutes les accusations … Et puis il y a la peste et la petite vérole qui sévissent, il y a les bandits, il y a les gens de « la haute » qui estiment avoir tous les droits. D’un bout à l’autre de ce roman, le lecteur est plongé dans la douloureuse réalité des années 1730, du moins celle des « petites gens » … Pauvre Esther, si jeune et déjà témoin de tant de cruauté humaine !
Toutefois, ce que je retiendrais de ce roman, c’est bien la force de caractère de cette jeune fille, qui s’accroche coute que coute à sa foi, sans jamais céder aux ultimatums de ceux qui veulent la convertir de force à la religion catholique. Bien sûr, elle a plus d’une fois caché sa véritable confession, plus d’une fois récité un rosaire pour ne pas attirer l’attention, mais au fond de son cœur et de son âme, elle refuse de se parjurer, elle reste en accord profond avec sa conscience, sans céder à la facilité. C’est finalement ce qui fait l’essence même de son épopée : Esther préfère fuir lorsque la solution la plus « simple » est aussi celle qui l’oblige à se renier. Devenir la protégée d’une grande dame ne lui posait pas de souci jusqu’à ce qu’elle découvre qu’on voulait faire d’elle une courtisane à jeter en pâture au roi. Devenir l’aide boulangère d’une femme ne la dérangeait pas jusqu’à ce que les enfants de cette dernière l’entrainent dans un jeu présentant les juifs comme des assassins. A chaque fois qu’elle trouve un endroit « accueillant » (selon les critères de l’époque), elle se retrouve un jour ou l’autre confronté à ce choix : céder à la facilité, ou faire preuve de courage en suivant son cœur comme le lui a enseignée une des seules femmes bienveillantes qu’elle ait croisé. Je retiendrais donc de ce récit le courage et la droiture de cette adolescente malmenée par la vie …
En bref, vous l’aurez bien compris, si j’ai au début eu toutes les peines du monde à me plonger véritablement dans l’histoire à cause de la rudesse de cette dernière, j’ai fini par me laisser captivée par ce roman qui mêle à merveille réalité historique et récit d’aventure. Esther est une jeune fille très attachante, elle a le cœur sur la main, elle est toujours prête à donner tout ce qu’elle a pour sauver plus petit et fragile que soi …. Malgré toutes les épreuves, elle garde la tête haute, elle refuse de se laisser abattre par la cruauté humaine, bien décidée à retrouver celui qui lui a permis de rester en vie et qui est devenu son seul et véritable ami. Et même si la fin nous laisse quelque peu sur notre faim, même si nous ne savons finalement pas ce qui lui est réellement arrivé, nous quittons ce roman en douceur, sans frustration : ne pas savoir, c’est avoir la possibilité d’imaginer le meilleur, car c’est ce qu’Esther nous apprend tout au long de ses péripéties. C’est donc un roman que je conseille bien volontiers, tant à ceux qui aiment l’histoire qu’à ceux qui s’intéressent au statut de la femme hier et aujourd’hui, à ceux qui s’intéressent à la théologie comme à ceux qui veulent tout simplement partir à l’aventure en compagnie d’une adolescente qui n’a pas froid aux yeux ! Il faut simplement savoir que ce livre peut parfois être un peu « remuant », donc à ne pas mettre entre toutes les petites mains innocentes !