Dans « L’éveil » et « Incroyable! », Vincent Zabus marie émotion et surréalisme

Par Mathieu Van Overstraeten @matvano

L’éveil (Vincent Zabus – Thomas Campi – Editions Delcourt)

De quoi ça parle: L’action de « L’éveil » se déroule en 2016, juste avant l’élection de Donald Trump. Les présidentielles américaines constituent d’ailleurs une sorte de fil rouge tout au long de l’album. Arthur, le personnage principal, est sacrément hypocondriaque. Depuis qu’il est tout petit, il est paralysé par ses angoisses. Du coup, pour tenter de calmer son esprit, il passe l’essentiel de son temps dans son appartement et il regarde souvent les mêmes films, surtout « Vertigo » d’Alfred Hitchcock. La vie tranquille d’Arthur bascule le jour où une énorme branche tombe d’un arbre et manque de l’assommer. Ce n’est pas cet événement-là qui va changer sa vie, mais le fait qu’une jeune femme vienne lui parler au moment où il s’assied par terre pour reprendre ses esprits. Elle s’appelle Sandrine, et elle est pleine de vie et de détermination. Bouleversant la vie d’Arthur à la manière d’un tourbillon humain, elle l’embarque directement à « La Quincaillerie », un lieu de débats citoyens à Ixelles. Puis, après cette soirée étonnante, elle rejoint Arthur dans son appartement, et ils font l’amour. Mais le lendemain matin, la jeune femme a disparu. Bravant sa peur de l’inconnu, Arthur décide de se lancer à sa recherche…

Pourquoi c’est bien: « L’éveil » est une BD hors normes et très intelligente, qui contient (au moins) un double niveau de lecture. Au premier abord, « L’éveil » est la rencontre entre deux êtres que tout oppose: Arthur l’angoissé et Sandrine l’extravertie. Mais en y regardant de plus près, on se rend compte que ce récit symbolise la confrontation entre le fait de vivre sa vie en spectateur et celui de s’engager pour faire bouger les choses. En racontant le retour à la vie d’Arthur, « L’éveil » souligne à quel point ça fait du bien de vivre sa vie pleinement. C’est clairement une BD qui vaut la peine d’être lue plusieurs fois, parce que derrière son côté un peu désarçonnant et surréaliste, elle livre des clés pour mieux comprendre notre monde. Pas étonnant d’ailleurs que Vincent Zabus et Thomas Campi aient opté pour le surréalisme, car ils sont également les auteurs d’une BD sur Magritte. Et puis, il faut bien le reconnaître: c’est toujours un plaisir de retrouver les rues de Bruxelles dans une bande dessinée. Ici, il s’agit principalement des rues d’Ixelles, puisque l’action se déroule notamment dans l’ancienne quincaillerie Vander Eycken, qui a vraiment été un lieu de débats citoyens en 2015 et en 2016. « L’éveil » a un côté surréaliste typiquement belge, mais c’est une BD avec un message universel. Ce serait dommage de passer à côté de ce livre aussi politique que poétique.

Incroyable! (Vincent Zabus – Hippolyte – Editions Dargaud)

De quoi ça parle: Aussi incroyable que ça puisse paraître, l’un des personnages principaux de cette BD qui se déroule en Belgique en 1983 est… le Roi Baudouin! Le roi des Belges est en effet le seul ami de Jean-Loup, un petit garçon de 11 ans qui vit tout seul avec son père depuis que sa maman est partie. Bien sûr, il ne s’agit pas du vrai Baudouin, mais de sa version imaginaire. C’est lui qui aide le petit Jean-Loup à surmonter sa solitude, étant donné que son père est toujours occupé à travailler. Jean-Loup est un petit garçon particulier. Il a énormément de TOC, des troubles obsessionnels compulsifs: il compte en permanence dans sa tête, il se tape régulièrement le bout du nez, il ne marche pas sur les lignes blanches quand il traverse la rue… Jean-Loup adore rédiger des fiches. Au total, il en a plus de 1.500. Des fiches sur tout et sur rien: la quantité de sang nécessaire pour oxygéner son cœur, les rites funéraires à travers le monde, les acariens… Pas étonnant que cette BD s’appelle « Incroyable! » avec un point d’exclamation, parce que Jean-Loup a plein de drôles de manies incroyables, qui lui servent à calmer ses angoisses et à garder un certain contrôle sur le monde. Jusqu’au jour où il va devoir surmonter sa peur en participant au concours régional des exposés scolaires. Pour trouver le bon sujet, il décide d’aller demander conseil au vrai roi Baudouin…

Pourquoi c’est bien: Tout comme « L’éveil », « Incroyable! » est une BD scénarisée par Vincent Zabus. Et tout comme « L’éveil », il s’agit d’une bande dessinée complètement inclassable. Une chose est sûre: Zabus, un auteur qui vient du monde du théâtre, est doué pour raconter des histoires. « Incroyable! » est un récit plein de fantaisie, qui contient une solide dose de poésie et d’émotion. Il y a d’ailleurs des chances que cet album fasse verser une petite larme à certains lecteurs plus sensibles. Au niveau des dessins, les illustrations signées par Hippolyte ont quant à elles un petit air de Sempé, le dessinateur des aventures du « Petit Nicolas ». Tout comme ceux de Sempé, les dessins d’Hippolyte sont d’une grande tendresse, avec notamment un très joli travail sur les couleurs, qui participent grandement à la justesse de ce récit. A noter que la sortie de l’album « Incroyable! » a été l’occasion pour les éditions Dargaud de rééditer « Les Ombres », l’album précédent de Zabus et Hippolyte, qui était sorti une première fois chez un autre éditeur en 2013, mais qui n’avait pas forcément eu le succès mérité. Cette magnifique fable sur le thème de l’exil et de l’émigration vaut, elle aussi, largement le détour.