Mais qu’allaient-elles faire dans cette galère ? Les éditions Zoé, magnifique maison suisse, portent certaines des plus importantes plumes francophones de ce temps : Elisa Shua Dusapin est par exemple au menu de leur rentrée littéraire 2020. Méditatifs, décalés, les romans de chez Zoé ont toujours un côté philosophique. Au début de l’année cependant, Zoé a eu l’idée saugrenue de faire paraître un page-turner, un polar simple au rythme haletant, qu’on lit d’une traite sans dormir comme le suggère son titre : Ne pas laisser le temps à la nuit.
Maiko est une jeune Hongkongaise qui se réveille mystérieusement amnésique dans un hôpital de Bruxelles. Bientôt, on la voit recherchée par la police de Hong Kong, et la voilà qui drogue une hôtesse de l’air pour prendre sa place dans un vol en direction de l’Afrique du Sud, dans une quête folle contre la nuit qui poursuit les avions en route vers l’Ouest. Et le tout pour retrouver son père, grand scientifique disparu après avoir fait une découverte majeure dont on ne saura rien ou presque. La quête du père est ce qui donne sa principale charge émotionnelle à ce roman, mais les ambivalences de cette quête sont absentes : le père est admirable sans nuance.
On retrouve les armatures narratives d’un polar populaire, comme la volonté d’abonder dans les préjugés du lecteur par des sentences toutes faites (« Les humains, je les connais bien, croyez-moi… », p. 71 ; « Comme tout étudiant qui se respecte, tu as bien une ou deux petites activités extra-scolaires pas trop légales », p. 199) ou la psychologie superficielle des personnages qui poursuivent un seul but monolithique. Les tours de passe-passe du polar sont tous là : celui du policier qui en sait plus que le lecteur, celui du message codé décodé en une seconde, celui de la coïncidence improbable, celui de la fausse alerte qui n’a pas d’autre fonction narrative que le plaisir de faire peur… Le motif de l’amnésie est si rebattu qu’on aurait aimé le voir traité avec un peu plus d’humour, comme chez Nina Yargekov récemment. Un polar parfaitement normal, en somme, mais au double du prix normal, à cause de la belle reliure. Il faut dire que l’action avance deux fois plus vite, puisqu’il s’agit d’un roman de tarmac plutôt que d’un roman de gare, mais enfin les recettes littéraires sont les mêmes. Dommage : il y avait tant à décrire de la psycho-traumatologie des aéroports !
Voir aussi : Viceversa Littérature, site suisse déçu par ce roman, et 24heures, site suisse qui le recommande pour occuper le confinement.
Sonia Molinari, Ne pas laisser le temps à la nuit, éditions Zoé, 2020, 304 p., 19€.