Anaïs Nin – Sur la mer des mensonges (Léonie Bischoff – Editions Casterman)
De quoi ça parle: La BD « Anaïs Nin – Sur la mer des mensonges » aborde le destin d’une des personnalités les plus fascinantes et les plus énigmatiques du XXème siècle. L’écrivaine Anaïs Nin, qui a vécu de 1903 à 1977, avait déjà une réputation sulfureuse de son vivant, mais celle-ci a encore été renforcée par la publication de la version non censurée de son journal après sa mort. Même si elle était aussi romancière et poète, Anaïs Nin est surtout connue auprès du grand public pour ses nouvelles érotiques, dont une partie a été compilée dans le recueil « Venus Erotica ». Dans l’imaginaire collectif, son nom restera sans doute éternellement associé à celui de l’écrivain Henry Miller, avec qui elle entretint une liaison passionnée. Si la vie et l’oeuvre d’Anaïs Nin fascinent toujours autant de nos jours, c’est parce qu’elle est une figure symbolique de la libération sexuelle des femmes et parce que son écriture est à la fois très intime et très sensuelle. L’intérêt de cette BD est de lever un coin du voile sur la femme qui se cache derrière cette écriture si particulière. Sur la couverture, on voit deux Anaïs: l’une paraît sage avec ses cheveux bien attachés, tandis que l’autre est plus sauvage, avec ses cheveux dénoués et un regard provocateur. Cette image traduit bien la double vie et même presque la double personnalité d’Anaïs Nin : d’un côté, elle est une épouse de banquier tout à fait convenable et de l’autre côté, elle laisse libre cours à la sensualité qui couve en elle. Elle le fait surtout dans son journal, qui est pour elle une véritable échappatoire. Elle tient d’ailleurs deux versions de son journal: une version que son mari peut lire et une autre complètement secrète. C’est à partir du moment où elle rencontre Henry Miller, qui s’avère véritablement être son double artistique, qu’Anaïs ose libérer toutes ses voix intérieures et qu’elle se transforme en une véritable écrivaine… mais toujours en entretenant cet art du mensonge qui la caractérise.
Pourquoi c’est bien: « Anaïs Nin – Sur la mer des mensonges » est l’une des bandes dessinées les plus marquantes et les plus réussies de cette rentrée. La première chose qui frappe, ce sont évidemment les dessins magnifiques de l’autrice suisse Léonie Bischoff. Ceux-ci ont été réalisés avec un crayon à la mine multicolore, un outil un peu magique qui mélange les trois couleurs primaires. Cet étonnant crayon s’avère être une technique parfaite pour traduire la liberté et la passion qui traversent en permanence Anaïs Nin. Ils sont idéaux pour mettre en images la richesse de ses rêves. Le livre s’ouvre d’ailleurs sur la scène spectaculaire d’un bateau pris dans une tempête, avec Anaïs qui finit par s’échouer sur un rocher avant de se réveiller au milieu de livres éparpillés. Dès le début, le ton est donné: « Anaïs Nin – Sur la mer des mensonges » n’est pas une biographie comme un autre, mais c’est un roman graphique plein de souffle et d’ambition. Léonie Bischoff, qui a travaillé sur ce projet pendant huit ans, s’est plongée corps et âme dans le sujet pour en faire un livre très personnel et poétique. Elle a vraiment pris le temps de s’imprégner des personnages et surtout de la correspondance entre Anaïs Nin et Henry Miller. Au-delà des mots, ce qui a intéressé Léonie Bischoff dans le parcours de la sensuelle écrivaine américaine, c’est la manière dont celle-ci a progressivement pris confiance en elle, en assumant qui elle était et en s’autorisant des libertés qu’elle s’interdisait auparavant. Autrement dit, elle a surtout voulu raconter la naissance d’une artiste. Léonie Bischoff, connue jusqu’ici pour ses adaptation en BD des romans de Camilla Läckberg, révèle une nouvelle facette de son talent avec cette biographie dessinée et passe par la même occasion du statut d’autrice prometteuse à celui de valeur sûre du 9ème Art. Bien sûr, il est important de préciser que la BD « Anaïs Nin – Sur la mer des mensonges » est clairement un livre pour adultes. Non pas en raison des dessins, qui restent assez sages, mais à cause de certains épisodes assez dérangeants de la vie d’Anaïs Nin, qui n’a pas hésité à transgresser certains tabous majeurs.