Buveurs de vent de Franck Bouysse

Buveurs de vent de Franck Bouysse Buveurs de vent

Franck Bouysse

Albin Michel

19 août 2020

400 pages

" Ça t'arrive jamais à toi de pleurer à l'envers ? "

J'adore les livres de Franck Bouysse, et je place au-dessus de tous ses romans Né d'aucune femme. Mais comment trouver les mots pour dire l'indicible ? Pour dire qu'on aime même si on ne met pas ce livre sur le haut de la pile ? Pour parler de ce roman rural, ni polar, ni roman social, ou plutôt un peu polar, un peu social, ou peut-être même poétique (à commencer par le titre) ?

Je suis entrée dans celui-ci avec facilité, j'étais en terrain connu. Franck Bouysse est le prince de la métaphore. Son écriture, toujours enchanteresse, m'a cueillie avec le même bonheur que d'habitude. Bon, il y a bien quelques images un peu extrêmes, quelques comparaisons osées que je ne cautionne pas forcément, mais je passe, comme toujours, parce que j'aime tellement tout le reste : ces phrases que je relis plusieurs fois, ces images qu'il suscite en moi et qui restent dans ma mémoire, cette ambiance. Et ce roman est un vrai grand beau roman d'ambiance. Il ne s'y passe pas tant de choses que ça, mais il y a une atmosphère bien particulière, pesante et légère. Si, si, je vous assure. Pesante, parce que les hommes et les femmes sont dépendants d'un homme, celui qui dirige la centrale électrique qui embauche tous les actifs de la région, celui que tout lecteur aimerait tuer, l'ogre, le tyran, et légère comme les frères et la sœur quand ils se balancent au bout de la corde sous le viaduc qui enjambe la rivière.

Ce roman est donc celui des paradoxes. Une ode à la liberté dans un univers carcéral. Les grands espaces naturels au milieu desquels vivent des gens emprisonnés dans leur bigoterie ou dans leur inaptitude à vivre. Stevenson dans une vallée française.

On a peur pour la fratrie, pour chacun des frères, pour la sœur et en même temps on envie leur liberté de penser, leur liberté d'être, leur insouciance, leur vitalité et leur lien si puissant. On vibre, on vit avec les personnages, les principaux mais aussi les secondaires. Ce grand-père extraordinaire, cet ancien marin, Gobbo, qui se transforme en ange-gardien de Mabel et en défenseur des opprimés, et puis la fragile femme du tyran ou encore Julie Blanche prise au piège de ses actes.

" Au fil de leurs conversations à L'Amiral, Gobbo lui avait fait comprendre que le silence est une vaste prison où l'on enferme ses peurs. "

Contrairement à ses autres romans, celui-ci est plus lumineux. Il est un poil moins noir, mais suffisamment pour que je m'y complaise. Et j'ai été tout à fait séduite par Mabel, révoltée, libre, sauvage mais déterminée.

" Ce soir-là, lors du dîner, Mabel posa tour à tour les yeux sur son père et sa mère. Ce père qui lui disait comment se comporter depuis sa naissance, et cette mère qui représentait ce qu'elle allait devenir si elle ne faisait rien contre, deux défaites face à face, deux condamnés voués à devenir ses bourreaux. "

Ce roman plaira à tous ceux qui avaient apprécié l'écriture de Né d'aucune femme mais qui n'avaient pas supporté certains passages. Il plaira à tous ceux qui aimaient déjà les écrits de Franck Bouysse parce que son écriture est toujours flamboyante. Il plaira à ceux qui ne connaissent pas encore Franck Bouysse, parce que commencer par ce roman, est une excellente entrée en matière dans le monde de cet auteur.

Comment ? Des voix s'élèvent pour dire qu'ils n'ont pas aimé ? Et même qu'ils se sont ennuyés ? Je ne veux pas les entendre...

" Dehors la nuit était barbouillée d'étoiles, et la lune, réduite à un quartier, ressemblait à une grosse tache que quelque démiurge aurait tenté d'effacer avant d'être interrompu. "