L’autre Rimbaud est sorti le 19 août. J’avais prévu de le lire et de le chroniquer pour cette date mais je n’ai pas réussi à me plonger dans la grisaille de Charleville-Mézières alors que tout autour de moi sentait les embruns. J’ai donc abdiqué après quelques dizaines de pages avalées sans intérêt, préférant remettre cette lecture à un moment où elle serait plus de circonstance : la rentrée. Et je crois que j’ai bien fait car ce deuxième essai fut concluant, j’ai englouti l’histoire du frère caché d’Arthur Rimbaud en deux jours.
Dans toutes les familles il y a de vieilles histoires.
Des pères, des fils ou des frères que l’on porte aux nues (plus rarement des mères, des filles ou des sœurs notez bien), d’autres que l’on préfère effacer de nos mémoires parce que leurs agissements nous font honte et qu’ils jettent le discrédit sur le nom que l’on porte.
En général se cachent derrière cela des comportements jugés déviants ou des faits répréhensibles, la famille se transformant en tribunal populaire pour évincer de son sein ceux qu’elle ne juge plus digne d’y figurer.
Charleville-Mézières et Frédéric Rimbaud ont au moins un point commun : une mauvaise réputation. Dans les classements des villes où « il fait bon vivre », la capitale des Ardennes arrive régulièrement dans les dernières positions.
Dans la famille Rimbaud, c’est le cadet, Arthur, que la mère encense et l’aîné, Frédéric, qu’elle méprise et ignore. Pourtant s’il y en a bien un qui sort du rang c’est Arthur mais le poète trouvera toujours grâce aux yeux de sa mère, Vitalie, et de sa sœur, Isabelle. On pardonne tout à l’enfant prodige des lettres. On s’assure de sa loyauté au moment où l’aîné refusera de plier l’échine. Difficile de comprendre cette haine que Vitalie déploie à l’encontre de Frédéric. Une haine féroce qui mènera tout de même à rayer ce pauvre bougre de l’histoire familiale et, plus hallucinant encore, de l’effacer purement et simplement de la célèbre photo d’Arthur Rimbaud enfant.
Un Frédéric Rimbaud ne pouvait pas gagner. Il était voué à s’incliner, à laisser la place aux autres, les galons, les beaux métiers, les belles situations. Depuis toujours, à l’école, à l’armée, dans sa famille, ça s’était passé ainsi. Pourquoi cela changerait-il à présent ? Il le savait bien, Frédéric, que, face à la toute-puissance de la mère, il n’avait aucune chance.
Les histoires de famille ont ceci de fascinant qu’elles n’épargnent aucun milieu ni aucun nom. Celles de la famille Rimbaud ont de quoi surprendre parce que tout aurait dû mener à ce que ce soit Arthur l’enfant maudit, incompris, rejeté. Mais non, son intelligence supérieure l’aura protégé de la foudre maternelle. C’est assez « moderne » comme vision des choses et je me suis surprise d’un côté à m’en réjouir. Pour une fois, un jeune homme issu d’une famille terrienne du XIXe siècle n’a pas été renié pour son homosexualité et sa vie sans attaches et un peu bohème. Mais c’est tout de même assez étonnant d’imaginer que Vitalie et Isabelle aient pu percevoir de suite ce qu’il y avait d’aussi exceptionnel chez ce garçon pour passer outre ses agissements. Une sorte de sixième sens, peut-être ? D’un autre côté, ce don d’Arthur aura fait le malheur de Frédéric, ce frère à qui l’on reprochera sa banalité et son incapacité à s’élever intellectuellement.
Comment vit-on dans l’ombre d’un être exceptionnel ? Comment faire sa place quand l’autre prend déjà tout l’espace ? Un sujet fascinant qui reste d’actualité pour tous ceux confrontés à la célébrité d’un proche. Un sujet dont David Le Bailly s’est emparé avec brio en offrant à Frédéric enfin la place qu’il méritait.
L’ESSENTIEL
L’autre Rimbaud
David LE BAILLY
Editions L’iconoclaste
Sorti en GF le 19/08/2020
384 pages
Genre : biographie
Plaisir de lecture :
Personnages : Arthur Rimbaud, son frère Frédéric, sa mère Vitalie, sa soeur Isabelle et son beau-frère Paterne Berrichon
Recommandation : oui
Lectures complémentaires : l’excellent Honoré et moi de Titiou Lecoq
RÉSUMÉ DE L’EDITEUR
La photo est célèbre. C’est un premier communiant, cheveux sagement ramenés sur le côté, regard qui défie l’objectif. Il s’appelle Arthur Rimbaud. Mais sur le cliché d’origine posait aussi son frère aîné, Frédéric. Cet autre Rimbaud a été volontairement supprimé de l’image. Comme il fut « oublié par la plupart des biographes.
Pourtant, les deux frères furent d’abord fusionnels, compagnons d’ennui dans leurs Ardennes natales. Puis leurs chemins se séparèrent. L’un a été élevé au rang de génie, tandis que l’autre, conducteur de calèche, fut banni par sa famille, effacé de la correspondance d’Arthur et dépossédé des droits sur l’œuvre.
En quoi était-il si gênant ce frère ? Pourquoi une telle conspiration familiale ?
On croyait tout savoir du plus célèbre des poètes. Il restait encore une part d’ombre.
Auteur de La Captive de Mitterrand, qui fut un succès critique et public, David Le Bailly signe ici un roman singulier, où la fiction se mêle à l’enquête. Il raconte, interroge, imagine et dissèque avec talent la mécanique implacable des secrets de famille.
TOUJOURS PAS CONVAINCU ?
3 raisons de lire L’autre Rimbaud
- Car vous découvrirez Arthur Rimbaud sous un nouveau jour
- Parce que ce frère méritait d’être réhabilité
- Parce que les histoires, il y en a dans toutes les familles, le thème est universel
3 raisons de ne pas lire L’autre Rimbaud
- Si déjà Arthur ne vous intéresse pas
- Si vous êtes hermétique au genre de la biographie
- Si seule l’histoire des gens importants vous importe
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