La race des orphelins - Oscar Lalo ♥♥♥♥♥
BelfondCollection Pointillés
Parution : le 20 août 2020
Pages : 288
Ean : 9782714493491Prix : 18 €
Présentation de l'éditeur
« J’ai longtemps rêvé que l’histoire de ma naissance exhibe ses entrailles. Quelle que soit l’odeur qui en surgisse. La pire des puanteurs, c’est le silence. »
Je m’appelle Hildegard Müller. Ceci est mon journal.
Je m’appelle Hildegard Müller. En fait, je crois que je ne m'appelle pas.
J'ai soixante-seize ans. Je sais à peine lire et écrire. Je devais être la gloire de l'humanité. J'en suis la lie.
Qui est Hildegard Müller ? Le jour où il la rencontre, l’homme engagé pour écrire son journal comprend que sa vie est irracontable, mais vraie.
J’ai besoin, avant de mourir, de dire à mes enfants d’où ils viennent, même s’ils viennent de nulle part.
Oscar Lalo poursuit son hommage à la mémoire gênante, ignorée, insultée parfois, toujours inaccessible. Il nous plonge ici dans la solitude et la clandestinité d’un des secrets les mieux gardés de la Seconde Guerre mondiale.
Oscar Lalo
Crédit photo:
©(c) Joachim PerezOscar Lalo a passé sa vie à écrire : des plaidoiries, des cours de droit, des chansons, des scenarii. Après Les Contes défaits (Belfond, 2016), La race des orphelins est son deuxième roman.
Mon avis
Hildegard Müller, 76 ans. Elle devait être la gloire de l'humanité, elle en est la lie.Elle nous propose un journal, son journal , mais ce n'est pas elle qui l'a écrit, elle a engagé un scribe, un traducteur à qui elle raconte sa vie pour essayer de comprendre ce qui ne peut l'être. En français en plus c'est très bien car la langue allemande, celle qui donne des ordres, langue torturée par les SS, elle ne peut plus l'entendre.
Pour réveiller sa mémoire et les souvenirs inexistants, le scribe lui lit des livres et des silences surgissent des bribes. Elle veut quitter le silence qui a fait d'elle une figurante de sa vie et témoigner, raconter l'irracontable car il n'existe pas. Elle souhaite pour ses enfants que ce journal soit "le cadeau de sa naissance avant qu'elle meure" pour qu'ils sachent d'où ils viennent.
Mais qui est Hildegard ? Elle préfère qu'on la nomme Sara sans H car certaines lettres évoquent des douleurs, elle est enfant du 3ème Reich.
H comme Hitler, comme Himmler surtout à son origine et celle du Lebensborn Programm, de 34 centres répartis en Europe durant la seconde guerre qui vont créer "la race des orphelins" en ayant la volonté de créer une race parfaite supérieure engendrant la volonté d'exterminer d'une part et de procréer, entendez par là de créer professionnellement.
Des mères de type aryenne, de préférence norvégienne car la race est pure sans mélange, et des SS qui obéissent aux ordres : offrir des enfants au Führer pour une Allemagne de race supérieure !
Notre narratrice est conçue et abandonnée par un fantôme, le TOTALITARISME.
Une horreur, une abomination qui laisse comme racine la douleur de l'ABSENCE. Impossible de retrouver des traces de ses racines, de ses "parents" car toute preuve, tout document ont été détruits à la mort d'Hitler.
Elle est face à un mur, pire face à un DÉNI puisque ces centres semblent n'avoir jamais existé, seule la souffrance existe car appartenant à l'État, elle est et restera toujours du côté des persécuteurs, des SS, c'est tout ce que l'on voit d'elle; le mal, l'horreur, la persécution alors que c'est elle la victime, elle qui est du côté de la souffrance.
Elle est un cadeau empoisonné, officiellement conçue par PERSONNE avec uniquement ses incertitudes quand à son nom, le lieu et la date de sa naissance, l'identité de ses parents.
C'est une victime accusée d'être coupable.
Oscar Lalo nous offre un roman dont la construction est originale, très intéressante. Son écriture est puissante, percutante, avec retenue, pudeur et fermeté. Peu à peu on apprivoise Hildegard et l'empathie très présente nous l'a fait ressentir murmurant sa vie à notre oreille.
Sur chaque page, des textes courts mais extrêmement percutants. Avec une économie de mots l'indicible nous est conté. C'est fort, très fort en émotions, j'en ai pris des claques. La langue est somptueuse, chaque mot choisi à la perfection. L'envie de méditer, de prendre une respiration m'a accompagnée car chaque phrase est travaillée, ciselée et percute, fait mouche en plein cœur, m'a fait chavirer. Ce texte est dur, très dur mais essentiel et la beauté des mots l'emporte.
Oscar Lalo nous livre ici un réel plaidoyer pour réhabiliter Hildegard, la faire exister et surtout mettre en avant la mémoire oubliée, gênante dont la honte peut-être fait qu'elle soit toujours inaccessible, oubliée.
J'avais envie de connaître la vie d'Hildegard, de voir si sa quête de savoir, de vérité allait enfin aboutir et en même temps, j'avais envie de lire lentement pour la garder un peu plus longtemps prèsde moi. Une chose est certaine c'est que je ne sors pas indemne de son histoire et qu'elle restera encore très longtemps dans ma mémoire.
Ce récit nous apprend beaucoup sur un sujet dont les livres d'histoire sont trop discrets, en le lisant je pensais à "Kinderzimmer" de Valentine Goby mais aussi au livre de mon compatriote Jean-Louis Aerts qui évoque le Lebensborn de Wégimont dans son roman "Un demi-siècle de mensonges"
J'ai encore envie de vous dire beaucoup de choses sur cette pépite, mais le plus simple est sans doute que vous vous rendiez chez votre libraire indépendant et le découvriez à votre tour.
C'est un immense coup de coeur, c'est LE livre dont j'ai envie de parler à cette rentrée littéraire. Un véritable chef-d'œuvre ♥♥♥♥♥
Les jolies phrases
La pire des puanteurs; c'est le silence. Il a fait de moi la figurante de ma vie.
Mon corps n'a pas de voix. Il a tout vécu mais je n'y ai pas accès. Mon corps me sait mais mon corps se tait. Lui aussi me traite comme une enfant. Toutes ces choses qu'il ne dit pas devant moi. Il les dit quand je dors. Parfois, ça me réveille. Alors, il fait semblant de dormir. Et je reste coincée dans ce rêve muet.
J'ai vu tomber le mur de Berlin. Mais mon mur du silence, il est toujours debout.
Il dit que les livres sombres sont souvent lumineux. Il dit que la bibliothérapie et la luminothérapie c'est la même chose : une lampe frontale pour fouiller sa vie.
Votre enfance est une flamme étouffée mais jamais éteinte. C'est pour ça qu'elle brûle encore.
Le viol est une arme de guerre comme une autre. Il laisse moins de traces. Il tue sans la tuer celle qui est victime. Je suis peut-être une de ces traces.
Les Juifs obligés de se cacher, et les enfants de SS qu'on cache, ça a commencé à peu près à la même époque.
Quand on se cache en temps de guerre, un jour ça prend fin. On vous trouve, on vous arrête, on vous tue ! Avec un peu de chance la guerre prend fin. Quand on se cache en temps de paix, ça ne prend jamais fin un jour. C'est la nuit en continu. La nuit continue. Ce journal pour savoir où, comment, et par qui j'ai vu le jour.
Mon scribe m'apprend qu'on appelle les Juifs "le peuple du livre". Du coup, je comprends mieux l'autodafé organisé par Hitler devant l'Opéra de Berlin le 10 mai 1933. Un avant-goût d'Auschwitz. Cette nuit-là, les auteurs juifs sont partis en fumée. Tout le monde n'y a vu que du feu.
J'ai demandé à mon scribe de me lire d'autres livres. Pas juste des extraits. Non. Des livres en entier. Il a accepté. Il lit le matin. On parle l'après-midi. C'est le bon ordre. Sa lecture est un détonateur à souvenirs. On commence tôt le matin. Sa lecture réveille délicatement ma mémoire. Elle dépose des mots sur des images sans légendes. Des images jaunies, floues, rangées il y a presque un siècle dans mes tiroirs les plus inaccessibles. Des pellicules argentiques que sa lecture développe.
Ces crimes n'ont pas suffi à faire condamner les dirigeants du Lebensborn Programm. De toute façon, je n'ai pas accès au théâtre judiciaire. Ma seule tribune, c'est ce journal. Mon seul recours, c'est d'être cette voix imprimée, silencieuse, qui murmure en langue des signes cette page d'histoire qui ne veut pas s'écrire. En langue des signes, car je m'adresse à des sourds. Il n'y a pas pire sourd que celui qui ne veut pas entendre. Cette face cachée du nazisme est une langue étrangère que personne n'a envie d'apprendre.
Je suis non seulement fille de l'Allemagne, mais je suis fille de Berlin. Comme Berlin, je suis une ville de débris. Une ville dont on a bombardé la mémoire. Une ville dont on a rasé l'histoire. Je suis née ruine. Je respire la poussière. C'est difficile de se construire sur des gravats.
Comment parler d'un secret dont on a honte ? Ces secrets-là nous rongent comme des métastases. Ce journal, c'est ma chimio. Ce journal, c'est aussi la radiographie du secret de ma naissance, son scan, son IRM. Il paraît que ces machines permettent de voir ce qui ne se voit pas. Toute cette technologie saura-t-elle montrer ce secret que j'ignore? J'écoute le médecin habilité à lire ce genre de clichés. Il ne parvient pas à définir ces ombres qui se terrent tout au fond du champ magnétique. Mauvaise nouvelle : il nous apprend qu'un noyau atomique instable est supposé radioactif. Mais il refuse de se prononcer d'avantage. Comme on le presse, il lâche vaincu : "Je ne peux pas vous aider. Il doit s'agir dune maladie orpheline."
Ma vie est une erreur judiciaire. Ma vie est ce cauchemar éveillé où les victimes sont présumées coupables et accusées comme telles dès leur plus tendre enfance, et où les coupables, barbares infanticides, ne sont pas inquiétés. Tout ça est incompréhensible. Comme ma vie n'a cessé de l'être. Ce journal pour comprendre ce qui ne se comprend pas.
En ne condamnant pas les responsables du Lebensborn Programm, le tribunal de Nuremberg nous a tous condamnés à ne jamais être reconnus comme victimes. L'innocence des dirigeants est la négation de la nôtre.
Analphabète en tout. Ni lire, ni écrire, ni aimer, ni toucher, ni enlacer. Même notre amour ânonne.
Vous le savez depuis les toutes premières pages. Ce n'est pas moi qui écris ce livre. C'est mon scribe. C'est lui qui écrit peu de lignes par page. Il écrit peu mais il travaille beaucoup. Comme un orpailleur. Il déterre des tonnes de gravier pour quelques poussières de métal précieux. Mais il veut bien le relire. Ne pas peser. Ne pas déformer. Juste passer au tamis toute la documentation qu'il s'avale. Pour provoquer des mots en moi. Certains brillent parfois. Petites particules d'or enfin libérées des anfractuosités rocheuses de ma mémoire.
Qu'est-ce qui est le plus douloureux ? Ne plus avoir ou n'avoir jamais eu ? On me répond : ne plus avoir. Qu'est-ce qu'on en sait ? Je suis fatiguée qu'on réponde à ma place.
Ils trouvaient des mots pour décrire l'indicible, mais devenaient muets de douleur à l'évocation de leurs parents. Alors ils nous prenaient sur leurs genoux. Je pense que nous servions à ça. Nous jouions pour eux ce rôle : devenir eux-mêmes parents. Ils avaient besoin de toucher nos petits corps pour parcourir leur enfance dévastée. Ils nous donnaient le biberon. Sans le savoir, ils prenaient soin de celles et de ceux qu'on accuserait toute leur vie d'avoir été responsables, sinon complices, du crime de leurs parents.
Je suis une oubliée de l'Histoire, mais on ne m'oublie pas pour autant. Tout ça parce que je suis issue d'une institution qui ne manquait de rien, dans un pays qui manquait de tout. On oublie que je n'étais issue d'aucune famille. Le Troisième Reich m'a enfantée, mais le Troisième Reich n'est pas une famille. Je n'en finis pas d'être accusée de ce dont je suis victime.
Nos libérateurs nous voient comme le prolongement de leurs bourreaux.
Ma naissance est absurde. Je suis née sans cordon. Ma piscine sans eau, c'est parce que je suis obligée de sortir d'un liquide amniotique qui n'existe pas. Une déplacée sans placenta. J'ai perdu mes eaux.
Du même auteur j'ai lu
Cliquez sur la couverture pour avoir accès à mon article