de P. D. JAMES
Nouveau billet pour ce rendez-vous hebdomadaire, initié par Aurélia du blog Ma Lecturothèque : les premières lignes d'un livre que j'ai lu et apprécié, ou qui se trouve toujours dans ma PAL.
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Cela ne faisait aucun doute : la nouvelle plaque apposée près de la porte était de guingois. Cordélia n'avait pas besoin, comme Bevis, de se faufiler entre les voitures qui encombraient Kingly Street au milieu de la matinée et de regarder, yeux mi-clos, à travers un flot éblouissant de fourgonnettes et de taxis, pour constater cette évidence strictement mathématique : ce parfait petit rectangle de bronze qui avait coûté si cher penchait d'un bon centimètre. Dans cette position, et malgré la simplicité de ce qui y était inscrit, il paraissait à la fois prétentieux et ridicule - une juste mise en garde contre de faux espoirs et une démarche inconsidérée. [...]
Si elle avait été superstitieuse, elle aurait pu croire que c'était l'esprit tourmenté de Bernie qui se manifestait pour protester contre cette nouvelle plaque où son nom ne figurait plus. En effet, c'est elle qui avait tenu à effacer symboliquement le nom de son associé défunt. Par contre, elle n'avait jamais envisagé de changer celui de l'agence : tant qu'elle existerait, elle continuerait à s'appeler Pryde. Elle avait seulement trouvé de plus en plus irritant que ses clients s'étonnent de tomber sur une femme si jeune et lui disent inévitablement : " Mais je pensais que j'aurais affaire à Mr. Pryde. " Mieux valait les prévenir tout de suite, qu'il n'y avait plus qu'un seul propriétaire et que c'était une femme.
Bevis la rejoignit à la porte en feignant la consternation.
" J'ai pourtant mesuré son emplacement à partir du sol, je vous assure, miss.
- Je sais. Le trottoir doit être irrégulier. C'est ma faute. J'aurais dû acheter un niveau à bulle. "
Mais elle n'avait pas voulu trop puiser dans la petite boîte à cigarettes cabossée héritée de Bernie qui lui servait de caisse et d'où les dix livres de menue monnaie qu'elle s'octroyait chaque semaine semblaient disparaître comme par enchantement et sans aucun rapport avec les dépenses réelles. Elle préféra croire Bevis - " l'as du tournevis ", comme il disait lui-même - et oublier que le jeune homme aimait mieux faire n'importe quoi plutôt que le travail pour lequel elle l'avait engagé.
" En fermant l'oeil gauche et en inclinant la tête, elle a l'air parfaitement droite.
- Voyons, Bevis, on ne peut pas compter uniquement sur une clientèle de borgnes au cou tordu ! "
À voir ce joli garçon, qui semblait maintenant plongé dans un profond désespoir, comme si on lui avait annoncé l'imminence d'une attaque atomique, Cordélia fut prise d'une vague envie de le consoler. Sa sensibilité aux réactions de son personnel, teintée d'une légère culpabilité, était bien l'un des aspects troublants de ce rôle d'employeur, pour lequel elle se sentait de moins en moins faite.
Résumé:
Un château victorien bâti sur une île: c'est là qu'un riche excentrique a convié quelques amis pour le week-end. Au programme des réjouissances, une pièce de théâtre montée par une troupe d'amateurs.
Mais quelqu'un trouble la fête, se livrant à de macabres plaisanteries aux dépens des invités. La mort rôde autour de l'île. La terreur s'installe.
Cordélia Gray, la jeune détective de La Proie pour l'ombre, joue les gardes du corps et observe d'un oeil attentif ces convives dont les bonnes manières dissimulent des vices inavouables. Energique, intuitive, elle dénoue un à un les fils de cette toile d'araignée criminelle.
Avec L'Ile des morts, P.D. James mérite plus que jamais son titre de " reine du crime ". Dans ce roman subtil, la férocité, l'humour et le théâtre élisabéthain se mêlent de façon inimitable.