Les graciées
Kiran Millwood Hargrave
Traduit de l’anglais (Royaume-Uni) par Sarah Tardy
Robert Laffont
Août 2020
400 pages
1617. Au nord de la Norvège. Sur l’île de de Vardo, au nord du cercle polaire. L’auteure de cette fiction s’est inspirée d’un fait réel pour créer son histoire.
Une tempête se déchaîne soudainement qui tue la plupart des hommes de l’île, partis à la pêche. Les femmes restent seules, elles ont perdu un mari, un fils, un frère. Trois ans plus tard, un homme va débarquer avec sa femme. Sa mission : faire la chasse aux sorcières. Certaines femmes sous l’emprise du diable, d’après lui, auraient provoqué la tempête en commandant aux vents. Les lapons, nommés aussi Sami, sont clairement dans le viseur de cet homme sanguinaire et violent. La femme de ce monstre bigot, mariée sans son consentement, va découvrir les femmes de cette île et sympathiser surtout avec l’une d’entre elles, Maren. Elle va s’ouvrir à l’amitié, et découvrir des émotions, des sensations, des sentiments jusqu’alors inconnus.
Je suis entrée dans ce roman avec une facilité déconcertante. L’écriture est sobre mais immersive. Efficace. On est vite emporté dans le tourbillon de cette vie rude, simple et terrifiante. On n’a aucun mal à se placer dans le contexte de l’époque. L’auteure a trouvé les mots justes pour évoquer le climat extrême. Le décor est très visuel, pas un arbre ne pousse dans cette région battue par les vents et le froid. Mais dans cette contrée sauvage, l’homme blanc veut, comme partout, implanter sa religion, diriger les âmes. Les femmes et les hommes se doivent de se rendre à l’église, ils n’ont pas le choix, et surtout, ils doivent renoncer à leurs pratiques ancestrales.
Ce roman m’a fait penser à celui de Hannah Kent, A la grâce des hommes , pour l’ambiance, pour cette réussite à nous faire voyager dans le temps, pour cette capacité à nous immerger dans une société tellement éloignée de la nôtre. Tellement éloignée ? Les tortures infligées aux pseudo-sorcières et la manière d’imposer un mode de pensée (« Tu dois croire en Dieu sinon tu es susceptible de mourir »), ça fait un peu écho avec une facette de notre monde actuel, me semble-t-il. L’intolérance, l’obscurantisme, sont, malheureusement, encore des vecteurs de mort.
Ce roman est prenant. La vie quotidienne décrite dans ses moindres détails parait très proche de la réalité de l’époque. Les jalousies, les mesquineries entre les femmes semblent tellement justes. Ursa, la femme du chasseur de sorcières, est un personnage tout en finesse, elle évolue au gré de ses relations, de ses ressentis. Elle nuance la dureté des femmes de Varno, elle n’a pas eu la même jeunesse, elle était un peu protégée. Elle a vécu dans l’ignorance (comme la plupart des femmes de cette époque j’imagine) de ce qu’est un couple. On comprend sa déception quand elle découvre ce qu’est l’acte sexuel, où l’homme domine la femme et ne lui laisse aucune possibilité de prendre du plaisir. La femme n’a pas la possibilité de s’exprimer, d’émettre un avis, de douter de son mari, elle lui est soumise, corps et âme. Si les deux personnages féminins principaux du roman ont une certaine puissance, il ne faut pas oublier Kirsten, l’image de la femme libérée, émancipée (pouvait-elle exister à l’époque ?), elle l’a été grâce à son mari qui le lui a permis, qui lui a appris à chasser, à pêcher, à se débrouiller, ce qui n’était guère dans l’air du temps. C’est pourquoi elle sera accusée de sorcellerie.
La part accordée au procès est infime dans le texte, l’accent est vraiment mis sur les actes de ces femmes pour s’en sortir, sur leurs forces et leurs faiblesses, sur leurs croyances et leur détermination. Et c’est tant mieux.
Ce roman m’a marquée, c’est indéniable. Un détail m’a cependant chiffonnée : l’orientation donnée à la relation entre Ursa et Maren n’était pas indispensable, leur amitié était largement crédible et suffisait. J’ai eu, seulement à ce moment-là, l’impression de sortir un peu de l’atmosphère du XVIIème siècle, l’impression que l’auteure en faisait un peu trop dans le romanesque.
L’avis de Kathel. Ça aurait presque pu être une lecture commune.
Merci à Netgalley et aux éditions Robert Laffont