Chavirer de Lola Lafon

Par Lettres&caractères

Chavirer, briser, fracasser. Des vies anéanties, des rêves que l’on piétine, une confiance que l’on bafoue sont au cœur de ce roman morcelé qui séduit plus par son thème que par son traitement.

Chavirer de Lola Lafon (éditions Actes Sud)

Les chapitres très courts s’enchaînent comme des actes d’une pièce de théâtre où l’on voit les personnages tantôt enfants tantôt adultes, victimes et complices, portés par leurs rêves puis anéantis. Des vies brisées, des rêves piétinés, une confiance en soi anéantie. Et la culpabilité en filigrane. Culpabilité de ne pas avoir réussi à dire non et pire encore, d’avoir embarqué d’autres enfants dans ce piège infernal.

Cléo, du haut de ses 13 ans, a beau jouer à la grande, elle n’est évidemment qu’une enfant qui ne connaît pas encore le sens de l’expression « ‘trop beau pour être vrai ». Le jour où elle est approchée par une femme élégante et sûre d’elle, elle ne se méfie pas. Et pourquoi le ferait-elle ? Cette femme s’intéresse à elle, lui explique l’avoir repérée, avoir décelé son talent et être en mesure de l’aider à décrocher une bourse d’une fondation qui aide les jeunes prometteurs à réaliser leurs rêves. Cléo n’a jamais entendu parler de la fondation Galatée mais elle ne doute pas de sa mission et de son bien fondé puisque c’est sérieux, puisqu’on le lui dit. Arrive le moment où l’envers du décor ne cadre pas. Les jurés n’ont rien des bons samaritains qu’elle imaginait. Le malaise remplace l’excitation mais elle continue d’y croire. Puisque c’est sérieux, puisqu’on le lui dit. Sans comprendre ce qui se passe, impossible de le verbaliser ni de donner l’alerte. Au contraire, Cléo va partager son « bon plan » avec ses copines qui elles aussi espèrent percer dans leur domaine.

Il fallait contextualiser : dans les années 1980, une très jeune fille pouvait tomber amoureuse d’un homme mûr sans qu’on crie au scandale. Marc l’avant beaucoup soutenue. Il l’avait quasiment éduquée, lui achetait des vêtements, des livres… Toutes les jeunes filles n’avaient pas la chance de tomber sur un fiancé instruit, prévenant. […] Et puis, quand elle était adolescente, ce n’était pas une sainte, ni une tendre, Betty !

Trente-cinq ans plus tard, l’affaire refait surface. La police enquête sur cette fondation Galatée et appelle les victimes à se faire connaître. Cléo a entre temps fait sa vie mais le souvenir de ce qui s’est passé et de son rôle joué dans cette sordide histoire ne cesse de la hanter.

Comment se construit-on en tant que femme quand on est à la fois victime et bourreau ? Peut-on seulement parler de culpabilité quand on a agi sous emprise et à un âge où l’on ne comprend pas vraiment ce qui nous arrive ? Comment vit-on avec l’innommable ? Lola Lafon nous le fait toucher du doigt à travers une plume délicate et sans pathos mais avec un sens de la narration qui rend parfois cette histoire assez confuse dans la tête du lecteur. Cléo n’est pas seule à porter son fardeau, d’autres personnages gravitent autour d’elle dont on découvre petit à petit les rôles, que l’on peine parfois à rattacher à sa vie et à se souvenir quand ils réapparaissent plus loin dans le récit. Cette construction donne parfois le tournis et l’on pourrait aisément qualifier cette narration de brouillon. Cela m’a empêchée de plonger pleinement dans ce roman, je le regrette car j’aurais aimé ressentir plus intensément toute la complexité de la situation, afin que Chavirer reste gravé dans ma mémoire. Mais voilà que j’en oublie déjà certains détails, bientôt il ne me restera plus rien de ce roman que le souvenir de l’avoir apprécié sur le moment. Mais est-ce vraiment suffisant ?

Chavirer de Lola Lafon est l’un des 4 finalistes du Prix Landerneau des lecteurs 2020 


L’ESSENTIEL

Couverture de Chavirer de Lola Lafon

Chavirer
Lola LAFON
Editions Actes Sud
Sorti le 19/08/2020 en GF
344 pages 

Genre : roman contemporain
Personnages : Cléo, Cathy, Betty, Lara
Plaisir de lecture :
Recommandation : oui
Lectures complémentaires : L’empreinte d’Alexandria Marzano-Lesnevich, Le consentement de Vanessa Springora, Les choses humaines de Karine Tuil

RÉSUMÉ DE L’ÉDITEUR

1984. Cléo, treize ans, qui vit entre ses parents une existence modeste en banlieue parisienne, se voit un jour proposer d’obtenir une bourse, délivrée par une mystérieuse Fondation, pour réaliser son rêve : devenir danseuse de modern jazz. Mais c’est un piège, sexuel, monnayable, qui se referme sur elle et dans lequel elle va entraîner d’autres collégiennes.

2019. Un fichier de photos est retrouvé sur le net, la police lance un appel à témoins à celles qui ont été victimes de la Fondation.

Devenue danseuse, notamment sur les plateaux de Drucker dans les années 1990, Cléo comprend qu’un passé qui ne passe pas est revenu la chercher, et qu’il est temps d’affronter son double fardeau de victime et de coupable.

Chavirer suit les diverses étapes du destin de Cléo à travers le regard de ceux qui l’ont connue tandis que son personnage se diffracte et se recompose à l’envi, à l’image de nos identités mutantes et des mystères qui les gouvernent.

Revisitant les systèmes de prédation à l’aune de la fracture sociale et raciale, Lola Lafon propose ici une ardente méditation sur les impasses du pardon, tout en rendant hommage au monde de la variété populaire où le sourire est contractuel et les faux cils obligatoires, entre corps érotisé et corps souffrant, magie de la scène et coulisses des douleurs.


TOUJOURS PAS CONVAINCU ?

3 raisons de lire Chavirer

  1. Parce que le thème traité ne peut que vous toucher
  2. Parce que la plume de Lola Lafon est belle à défaut d’être limpide
  3. Parce qu’il se fait le reflet d’une époque, les années 80, que vous reconnaîtrez sans peine si vous l’avez vécue

3 raisons de ne pas lire Chavirer

  1. Parce que l’on commence tout de même à frôler l’overdose de romans qui surfent sur la vague #metoo
  2. Parce que la construction éclatée de ce roman, tant d’un point de vue chronologique que de l’introduction des personnages, nuit au plaisir qu’il peut procurer
  3. Parce qu’après une première partie très réussie, l’histoire s’enlise un peu

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