Les Abysses par Rivers Solomon

Les Abysses par Rivers SolomonEditions Aux Forges de Vulcain 2020

Quatrième de couv’ :

Lors du commerce triangulaire, quand une femme tombait enceinte sur un vaisseau négrier, elle était jetée à l’eau. Mais en fait, toutes ces femmes ne sont pas mortes. Certaines ont survécu, se sont transformées en sirènes et ont oublié cette histoire traumatique. Un jour, l’une d’entre elles, Yetu, va leur rappeler.

Mon avis :

Ce livre je l’ai attendu des mois, j’avais compris qu’il y avait une histoire de vengeance mais en fait pas du tout, il n’y a pas d’action dans ce roman c’est plutôt des questionnements :

Création d’un mythe :

Cette population sous-marine est apparue d’abord dans les chants du duo de techno-électro Drexciya de Détroit qui s’interroge sur la possibilité que des êtres humains puissent respirer dans l’eau comme les foetus dans le ventre de leur mère. Ce questionnement vient du fait que des milliers d’esclaves africaines étaient jetées par-dessus bord lors de la traite négrière quand elles étaient en train d’accoucher, ces foetus n’ayant jamais respiré d’air pourraient-t-ils avoir survécu et peuplé les océans ? Le groupe Clipping reprend ce récit dans sa chanson The Deep pour explorer avec plus de profondeur le thème car le premier groupe était surtout axé sur la musique plus que sur les paroles, puis Rivers Solomon ‘est à on tour approprié cette histoire en ajoutant sa pierre à l’édifice et a choisi de mettre en scène ce peuple des abysses, les Wajinrus.

L’intrigue :

Au plus profond des océans, dans une nuit noire perpétuelle, vit un peuple marin unis grâce à l’esprit de collectivité sur lequel ils se sont fondés. Tous, sauf une, Yetu est l’Historienne des Wajinrus, là où tous les autres individus peuvent vivre l’instant présent sereinement, Yetu est le réceptacle vivant de la mémoire de tout un peuple. 600 ans d’Histoire qui la hantent et lui meurtrissent l’esprit autant que le corps, cette Histoire est trop grande, trop traumatisante pour son corps menu. Les souvenirs, appelés Souvenances, accaparent tant son esprit qu’elle se perd et a peur de devenir folle. Sa libération arrive une fois l’an, les Wajinrus ont créé le Don de mémoire qui permet au peuple entier de se rappeler leur création, leurs ancêtres jetées des bateaux négriers et leurs enfants métamorphosés en sortant de leur corps pour vivre sous l’eau, les débuts dans la plus grande solitude pour peu à peu se regrouper et s’allier. Ce Don de mémoire est nécessaire au Wajinrus qui se sentent peu à peu perdus et vides sans ces souvenirs, mais ce Don est également extrêmement douloureux, raison pour laquelle un seul d’entre eux est choisi pour les conserver. Mais Yetu n’en peut plu, et cette fois elle va profiter de la confusion créée par le Don de mémoire pour s’enfuir loin de son peuple.

L’importance de l’Histoire :

La thématique de ce roman est l’importance pour un peuple d’avoir accès à son Histoire. Pour débattre de cette idée, Rivers Solomon utilise deux personnages, Yetu qui fuit cette Histoire, la juge trop destructrice et pense que cela l’empêche d’être elle-même, qui souhaite être sans entrave d’aucune sorte, elle aspire à se trouver, à découvrir sa véritable nature sans ce Don qui était vécu comme une malédiction. Au contraire, Oori qui est la dernière survivante de sa communauté juge sévèrement le choix de Yetu, il ne reste rien du peuple d’Oori, à sa mort ce sera comme s’il n’avait jamais existé. Même si ce Don crée de la douleur, au moins elle pourrait trouver du réconfort à voir revivre même quelques instants seulement ses proches disparus, quand bien même ce passé est douloureux, il permet de façonner le présent et de préparer l’avenir.

Et aussi… :

Il y a également d’autres thématiques moins mises en avant mais qui ont leur importance tout de même. Le peuple des Wajinrus n’est pas binaire comme les humains, ils ont l’ensemble des organes génitaux mâles et femelles à disposition et c’est d’un commun accord qu’ils s’accordent lors de l’accouplement de qui féconde qui. Quand Yetu sera échouée à la surface, un personnage qu’elle va rencontrer n’aura pas de pronom genré non plus, d’un premier coup d’oeil elle ne sait dire s’il s’agit d’un mâle ou d’une femelle donc lorsque Suka sera auprès d’elle, elle pensera Il ou Elle dit ceci, Il ou elle fait cela, sans jamais se permettre l’impolitesse de demander son genre à Suka étant donné que ça ne la perturbe pas le moins du monde et que ça n’a pas la moindre importance, seule compte la personne.

Au niveau de la communication des Wajinrus, tout se fait par courants électromagnétiques, ils sont habitués à ne rien voir donc ils se reconnaissent de cette façon, avec une signature électrique qui leur est propre à chacun et ils peuvent se comprendre et se parler de cette façon. De même, ce don avec l’électricité dans l’eau leur permet également d’agir sur les éléments et créer de gigantesques tempêtes, on aura un aperçu dans une souvenance de cette rage qui les a animé contre un des bateaux négriers.

En bref :

J’ai été un peu déstabilisée par ce roman où j’avais compris au départ qu’il était question de vengeance et donc j’en avais conclu qu’il y aurait de l’action mais en fait…pas du tout, attendez vous surtout à un roman assez philosophique, Rivers Solomon a utilisé un morceau de l’Histoire de l’esclavage tout en apportant d’autres thématiques actuelles et nous offre un essai plus qu’un roman de science fiction sur l’importance pour un peuple d’avoir accès à son Histoire. Quand bien même je n’y ai pas trouvé ce que je pensais de prime abord, j’ai beaucoup aimé découvrir son approche et ses idées, j’ai enchainé avec son premier roman traduit, L’incivilité des fantômes.

D’autres avis chez : Le Chroniqueur, Boudicca,

Bonne lecture !