Rendez-vous pour vous donner envie de découvrir ma lecture du moment. Les premières phrases ... avant de lire ma chronique dans quelques temps.
La voix traverse le sommeil, oscille à la surface. La femme caresse les cartes retournées sur la table, elle répète plusieurs fois, sur ce ton de certitude : le 20 mai, votre vie va changer.
Mathilde ne sait pas si elle est encore dans le rêve ou déjà dans la journée qui commence, elle jette un œil à la pendule du radio-réveil, il est quatre heures du matin.
Elle a rêvé. Elle a rêvé de cette femme qu'elle a vue il y a quelques semaines, une voyante, oui, voilà, sans châle ni boule de cristal, mais une voyante quand même. Elle a traversé tout Paris en métro, s'est assise derrière les rideaux épais, au rez-de-chaussée d'un immeuble du seizième arrondissement, elle lui a donné cent cinquante euros pour qu'elle lise dans sa main, et dans les nombres qui l'entourent, elle y est allée parce qu'il n'y avait rien d'autre, pas un filet de lumière vers lequel tendre, pas un verbe à conjuguer, pas de perspective d'un après. Elle y est allée parce qu'il faut bien s'accrocher à quelque chose.
Elle est repartie avec son petit sac qui se balançait au bout de son bras et cette prédiction ridicule, comme si c'était inscrit dans les lignes de sa paume, son heure de naissance ou les huit lettres de son prénom, comme si cela pouvait se voir à l'œil nu : un homme le 20 mai. Un homme au tournant de sa vie, qui la délivrerait. Comme quoi on peut être titulaire d'un DESS d'économétrie et statistique appliquée et consulter une voyante. Quelques jours plus tard il lui est apparu qu'elle avait jeté cent cinquante euros par la fenêtre, un point c'est tout, voilà à quoi elle a pensé en visant d'un trait rouge les dépenses du mois sur son relevé de compte, et qu'elle se foutait pas mal de ce 20 mai, et des autres jours aussi, à ce rythme-là de toute façon.
Le 20 mai est resté comme une vague promesse, suspendue au-dessus du vide.
Aujourd'hui, quelque chose pourrait se passer. Quelque chose d'important.
→ Deux âmes perdues qui vivent de tristesse et solitude dans un monde privé de douceur.
Titre : Les heures souterraines (2 mars 2011)
Auteur : Delphine de VIGAN
Nombre de pages (papier) : 248
Il s'agit de présenter chaque semaine l'incipit (premières phrases) d'un roman. Il vous permet de découvrir en quelques lignes un style, un langage, un univers, une atmosphère.