Grâce au Prix Landerneau je viens une nouvelle fois de me prendre une déflagration en plein cœur. L’an dernier, j’avais fini ma lecture de Mur Méditerranée la gorge nouée et cette année je termine Là d’où je viens a disparu le cœur en miette et le cerveau en ébullition.
Même thème, même sentiment d’injustice teinté de colère. Mais un profond malaise en plus car Guillaume Poix, à la différence de Louis-Philippe Dalembert ne se focalise pas uniquement sur des destins de migrants, il prend le sujet à bras le corps et offre un roman choral qui convoque tout à la fois les familles restées au pays, les candidats à l’exil, ceux parvenus à destination et qui doivent s’inventer une nouvelle existence loin des leurs et enfin les autres. Ces autres ont un point commun : ils sont nés dans le bon pays. Mais ils ont aussi une différence de taille : tandis que certains ont la compassion facile et affichent leur bonne conscience de gauche, les autres ont des convictions chevillées au corps et agissent mais pas vraiment dans l’humanitaire. A quel moment les uns et les autres vont-ils se retrouver ? C’est tout le talent de l’auteur de parvenir petit à petit à réunir des destins séparés par des milliers de kilomètres.
Ma plus grande fierté, c’est de savoir que Zach, cet ectoplasme qui m’épuise mais que j’aime à m’en taper la tête contre les murs, ne vivra jamais ça. Il est né sur ce sol, il est américain, il peut librement courir sur les pelouses brillantes du golf les jours où on nous autorise à venir nous y promener. […] il vivra une toute autre vie que la mienne, citoyen de ce pays, il saura faire, il saura entreprendre et récolter les fruits de son labeur, il saura se frayer un chemin entre les allées d’érables du club de Bedminster, il marchera dans le monde d’un pas léger, confiant, il sera chirurgien ou sénateur, il siègera à cette table que je cire obstinément […]
Mais le plus machiavélique dans toute cette histoire c’est qu’avec une construction aussi réussie, une justesse de chaque instant pour camper chaque personnage, Guillaume Poix parvient sans difficulté à nous faire entrer dans la tête de chaque protagoniste, même ceux qui nous font horreur, que l’on pensait ne pas pouvoir comprendre et que l’on ne voulait surtout pas entendre. Ce roman m’a remuée, c’est indéniable. J’ai photographié des pages et des pages, des citations, des dialogues, des pensées, j’ai ressenti la détresse absolue de l’une, le profond écœurement de l’autre, l’ambigüité des sentiments d’une dernière et la détermination de ceux qui croient en leur cause, même si leurs actes vont à l’encontre de mes plus profondes convictions. Eux au moins agissent… Cette idée me hante depuis que j’ai refermé ce livre.
Chantal a placardé sur les murs du local de l’association un poème déniché sur Médiapart. Une poétesse de Somalie.
Personne ne quitte sa maison à moins
Que sa maison ne soit devenue la gueule d’un requin
[…]
Personne ne pousse ses enfants sur un bateau
A moins que l’eau ne soit plus sûre que la terre ferme
Il me reste une dernière chronique à publier pour le Prix Landerneau des lecteurs mais inutile de maintenir plus longtemps le suspense, mon choix est fait. Il m’est impossible de voter pour un autre roman, la puissance de celui-ci rend les autres histoires insignifiantes tout à coup même si elles sont justes, nécessaires, douloureuses, elles sont personnelles quand celle-ci est universelle.
L’ESSENTIEL
Là d’où je viens a disparu
Guillaume POIX
Editions Verticales
Sorti le 03/09/2020 en GF
288 pages
Genre : roman contemporain
Personnages : Litzy du New Jersey, Marta du Salvador, Pascal de France, Angie de Somalie, Rafael du Salvador, Jérémy de France, Giant de Libye, Hélène de France, Sarah du New Jersey, Eva et Luis du Salvador, Eva
Plaisir de lecture :
Recommandation : oui
Lectures complémentaires : Mur Méditerranée de Louis-Philippe Dalembert, 19 femmes de Samar Yazbek, Girl d’Edna O’Brien
RÉSUMÉ DE L’ÉDITEUR
« Ca fait deux ans que je ne l’ai pas revu. Sept cent vingt-trois jours pour être précise. Il y a un mois, j’ai reçu une lettre de lui en provenance des Etats-Unis. Il m’indiquait qu’il avait fui notre pays et qu’il travaillait dans une entreprise de bâtiment. Il allait bien, il écrirait de temps en temps, il me souhaitait du calme maintenant qu’on ne se reverrait plus. J’ai brûlé la lettre et j’ai regardé mon fils aîné partir en fumée ». Inspiré de faits réels, ce roman choral explore des rêves d’exil, accomplis ou à jamais manqués. D’un continent à l’autre, des familles dispersées affrontent la même incertitude : que transmet-on à ses enfants qu’aucune frontière ne peut effacer ?
TOUJOURS PAS CONVAINCU ?
3 raisons de lire Là d’où je viens a disparu
- Parce que ce roman va vous bouleverser
- Parce qu’il donne à voir toutes les facettes de la situation
- Parce que le sujet est parfaitement maîtrisé et la plume de l’auteur vaut absolument d’être découverte
3 raisons de ne pas lire Là d’où je viens a disparu
- Parce que c’est un roman choral qui prend son temps pour mettre chaque pièce à sa place, ce qui peut dérouter certains lecteurs
- Parce que le sujet est tragique et que vous ne lisez peut-être pas pour vous plomber le moral
- Parce que… je ne sais pas, pour moi, il est évident qu’il faut le lire
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