Le coeur des louves - Stéphane Servant


Le coeur des louves - Stéphane ServantLe cœur des louves, Stéphane Servant
Editeur : RouergueNombre de pages : 542Résumé : Célia est arrivée seule, à la fin de l’été. Livrée à elle-même dans la vielle maison, elle attend sa mère. Le village est toujours pareil, perdu au fond de la vallée, avec ses montagnes couvertes de forêts et son lac Noir. Leur retour réveille de vieilles histoires. Celles d’une grand-mère à la réputation sulfureuse. Car ici, tout le monde se connait depuis toujours. On s’aime trop ou on se hait et ce sont les hommes qui font la loi, par la force s’il le faut. Pour découvrir ce qui se cache sous la surface des choses, elle devra se tailler un chemin, entre mensonges et superstitions. Et se faire louve pour ne pas être proie.
- Un petit extrait -
« Il fallait faire un choix. Il faut toujours faire des choix. Finalement, la vie n'est pas autre chose qu'une succession de choix infimes. Des bifurcations invisible à l'œil nu et qui pourtant feront que nous serons demains deux personne entièrement différentes selon comment nous avons pesé sur ses aiguillages microscopique. »
- Mon avis sur le livre -
Il n’y a rien de plus perturbant, quand vous écrivez, de vous retrouver face à un ouvrage qui ressemble à vos propres écrits. Au fur et à mesure que j’avançais dans Le cœur des louves, mon trouble s’accentuait : le roman de Stéphane Servant résonnait fortement avec une nouvelle que j’ai écrit en 2012 et qui s’insérait dans un cycle que je n’ai jamais eu le courage de mener à bien, car je me rendais compte que cette histoire disait bien trop de choses sur moi, sur ce que je gardais bien enfoui au plus profond de mon être. Et voilà que je retrouvais des bribes de ce texte bien secret disséminées ci et là dans un roman, comme si Stéphane Servant et moi avions arpenté les mêmes chemins de l’imagination au moment où cette idée se promenait tranquillement. Alors bien sûr, nos deux histoires n’ont rien à voir l’une avec l’autre, mais il y a suffisamment d’éléments qui se rejoignent pour que je sois troublée. Mais cela ne m’a nullement empêché de savoir ce récit pour lui-même, et de l’aimer autant que j’ai aimé La langue des bêtes et Sirius !
Après des années d’errance, à voguer de maisons en appartements au gré des aventures et des ruptures de sa mère, écrivaine dépressive en panne d’écriture, Célia pose ses bagages dans la demeure de sa défunte grand-mère, cette maison qui l’accueillait chaque été durant son enfance. Mais les habitants de ce petit village perdu au cœur de la montagne sont loin de les accueillir avec le sourire : ici, on les hait autant qu’on les craint, on baisse la tête et on murmure sur leur passage. Seule Alice, son amie d’enfance, semble ravie de la revoir, et l’entraine nuit après nuit dans de folles cavalcades sauvages au cœur de la montagne, des peaux de louves comme seuls vêtements, des cris de louves comme seules paroles, des jeux de louves comme seule liberté. Sans le savoir, Célia marche sur les pas de Tina, sa grand-mère, cette femme que les villageois montraient du doigt mais chez qui ils venaient confier les maux des corps, des cœurs et des âmes. Le retour de Célia et de Catherine ravive les mémoires et déterrent les vieilles histoires. Mais « dans les histoires, il y a toujours une part de vérité » … et c’est peut-être dans ces vérités cachées que se cache le secret qui pèse silencieusement sur leur existence.
Pour être parfaitement honnête, je ne sais pas où commencer pour vous parler de ce roman : chaque mot qui me vient à l’esprit me semble affreusement terne en comparaison avec ce que je viens de lire. Car la première chose que vous devez savoir, c’est que Stéphane Servant manie les mots comme personne. Il y insuffle une poésie qui n’appartient qu’à lui. Une poésie faite de phrases courtes mais percutantes, de phrases simples mais efficaces. Une poésie faite de jeux de rythmes et de sonorités, de mots qui coulent et de mots qui buttent. De mots qui sont à leur juste place. Sans fioriture. Juste là où ils doivent être. Je me suis régalée de chaque phrase, j’ai savouré chaque paragraphe, j’ai dévoré chaque chapitre avec l’avidité des fins de famine. Il y a une telle urgence dans ce livre ! Il y a ce passé qui court après le présent, qui le rattrape, avec tous ses secrets et ses dangers. Et le lecteur est prisonnier de ces mots, de ces phrases, de cette histoire aussi belle que cruelle. Il ne peut plus s’en défaire, car cette histoire n’est pas seulement celle de Célia, Catherine et Tina, elle est bien plus celle de toute femme, de toute homme, de tout enfant qui découvre avec fracas l’horreur de la vie. Célia, c’est toi, c’est moi, c’est nous.
Car dans cette histoire, humanité et bestialité s’entremêlent, sans que l’on ne soit plus capable de distinguer où termine l’une et où commence l’autre. Car parfois, les hommes sont plus bestiaux que les bêtes, et les bêtes plus humaines que les hommes. Car « les bêtes les plus terrifiantes ne viennent pas la nuit. Elles n'ont ni griffes ni crocs. Elles vont sur deux jambes et elles ont tout de l'apparence d'un homme. ». Et c’est ce qui se cache au cœur de cette histoire : la violence qui se tapie dans le cœur des hommes, ces hommes qui cachent par leur violence toute leur faiblesse. Car « tu seras un homme mon fils » : un homme, ça ne pleure pas, ça cogne ; un homme, ça ne se laisse pas marcher sur les pieds, ça frappe ; un homme, ça ne se laisse pas humilier, ça tue. De tous les romans de Stéphane Servant que j’ai lu jusqu’à présent, celui-ci est indiscutablement le plus dur, le plus douloureux, le plus sombre. Et cela d’autant plus qu’il ne dissimule rien, qu’il n’atténue rien : l’horreur est là, bien cachée au plus profond des demeures, derrière le visage de l’homme le plus respecté du village, derrière la porte de l’église elle-même. Il y a cette rudesse, cette brutalité, qui plane sur cette histoire …
Mais il y a aussi la lumière. Il y a cette force qui anime Célia et qui vient briser cette chaine de de souffrance. Car Célia refuse de se plier au silence ancestral, refuse de rentrer dans le moule que les hommes imposent aux femmes. Alors elle se fait louve, se fait prédatrice pour ne plus être proie, chasseuse pour ne plus être victime. Elle quitte le manteau de l’enfance, quitte cette cape de servitude effacée pour s’affirmer comme seul guide de son existence. Ce livre, c’est aussi une véritable ode à la liberté, cette liberté d’être pleinement celle qu’elle veut être et non pas celle qu’on veut qu’elle soit, non pas celle que fut sa mère et sa grand-mère avant elle. Elle a besoin de comprendre ce qui leur est arrivée pour comprendre d’où elle vient, mais elle refuse de se laisser enfermer par ce passé qui n’est pas totalement le sien. Il y a dans ce livre la métamorphose de l’adolescente pleine de regrets et de questions en jeune femme pleine de certitudes sur ce qu’elle veut devenir. Et il y a la beauté de la nature, cette nature qui devient ici un personnage à part entière, tantôt mère bienveillante, tantôt bête sauvage, cette nature qui se fait le reflet de l’humanité, dans sa cruauté mais aussi dans sa bonté. Il y a cette force, cette puissance, cette flamme qui brule en chacun de nous et qui se dévoile dans ce livre.
En bref, vous l’aurez bien compris, une fois encore, je suis sous le charme, sous le choc. C’est une lecture coup de poing, coup de foudre, coup de cœur. Car dans ce livre, il y a ce cœur qui bat, celui de la liberté, celui de la vie, coute que coute. Il y a le passé qui façonne, le présent qui doute et l’avenir qui rêve. Il y a la nature sauvage qui se fait refuge. Il y a nos peurs et nos doutes, nos espoirs également. Car ce livre, il ne parle pas uniquement de Célia, il parle de chacun d’entre nous, car il est tellement facile de s’identifier à elle, tellement évident de voir notre vie se glisser dans celle de Célia. Il y a de la douleur dans ce livre, de la peine à n’en plus finir, mais il y a aussi tellement d’espérance, tellement de joie qui ne demande qu’à se libérer du carcan de nos craintes. C’est un livre qui nous invite à vivre, pleinement, purement et simplement, sans se laisser enfermer par les jugements et les envies des autres. Certaines histoires ne sont pas faites pour être racontées, mais pour être vécues, et Le cœur des louves en fait partie. Pour le savourer, pour l’apprécier, il faut se laisser aller, se laisser entrainer par cette histoire d’une grande beauté, d’une grande justesse et d’une grande délicatesse. Ce n’est peut-être pas le roman de Stéphane Servant le plus facile, mais c’est peut-être le plus puissant que j’ai lu de lui jusqu’à présent …