Sept ans après « La Tectonique des Plaques », son précédent album, Margaux Motin revient enfin à la bande dessinée. Dans « Le printemps suivant », elle met en scène sa nouvelle vie au Pays basque avec son compagnon Pacco, lui aussi auteur de BD, et leurs filles respectives. L’occasion pour elle de raconter comment elle a troqué sa vie de mère célibataire et son appartement parisien pour une famille recomposée, une grande maison tout près de l’océan et un potager. On y découvre une Margaux Motin plus sereine et plus en phase avec la nature, même si elle continue évidemment à rire de ses travers. La sortie du tome 1 de ce diptyque était une bonne occasion de poser quelques questions à cette pétillante illustratrice, qui est suivie de près par des centaines de milliers de lectrices.
Pourquoi y a-t-il eu 7 ans entre « La Tectonique des Plaques », votre album précédent, et « Le printemps suivant »?
Pour plusieurs raisons. La première d’entre elles, c’est que ça correspond à une période de notre vie où on avait plein de trucs à faire avec Pacco: s’installer dans cette nouvelle maison, faire des travaux, gérer la logistique, redécouvrir la vie tous ensemble sous le même toit, emmener les enfants à l’école… Il y avait plein de trucs qui changaient, donc ça nous a pris un peu de temps. La deuxième raison, c’est que comme on s’installait à la campagne, j’ai redécouvert la vie dehors et j’ai eu des tas de projets de jardinage. Et puis la troisième raison, c’est que j’ai beaucoup travaillé sur mes illustrations pour Instagram, qui est un peu mon nouveau blog.
Est-ce que vous avez pensé un moment vous consacrer seulement à Instagram? Ou est-ce que l’envie de faire de la BD est toujours restée?
Ah non, j’ai toujours eu l’envie de la bande dessinée! C’est juste que j’ai eu beaucoup de commandes de clients pour des illustrations et que j’ai été prise aussi par plusieurs livres illustrés en collaboration avec d’autres auteurs ou autrices. Tout ça mis bout à bout fait que pendant toute une période, j’ai eu moins le temps pour faire mon propre album.
Finalement, c’est une réussite ou pas, votre emménagement à deux avec Pacco? En lisant votre BD, on a comme un doute…
Bien sûr que c’est une réussite! Sans vouloir spolier la suite, je crois qu’on devrait le voir plus clairement dans le tome 2.
Vous allez encore chez Ikea à deux?
Oui, mais on le fait différemment. Je laisse Pacco au café de l’Ikea, tandis que de mon côté, j’embarque les filles dans le magasin. J’ai accepté aussi de faire des listes avant d’y aller. Maintenant, je sais que c’est quelque chose d’utile, même si je râle beaucoup là-dessus dans la BD.
Ikea, c’est le test ultime pour tous les couples?
Je pense que oui, parce que c’est un peu l’endroit qui stigmatise toutes les différences. Forcément, on n’accroche pas sur les mêmes choses. Quand tu vas seul chez Ikea, tu peux déjà ressortir fâché. Alors quand tu y vas à deux, c’est encore bien plus compliqué!
Pourquoi avez-vous décidé de quitter Paris?
C’est Pacco qui est parti le premier. Il l’a fait au moment où il était encore avec sa compagne de l’époque, qui est la maman de sa fille. Pour eux, c’était un vrai projet de vie. Ils avaient fini leur cycle parisien et ils avaient envie d’autre chose. Par après, quand on s’est mis ensemble avec Pacco, ça m’a paru évident de le rejoindre là-bas. En plus, il faut savoir que je ne suis pas une Parisienne à la base. Je suis une fille de la campagne. Quand j’ai vu dans quelles conditions il vivait, ça m’a paru complètement débile de rester vivre à Paris! On a pu aller se promener dans la campagne, on a été à la plage, on a été sur la montagne, on a bien mangé, il faisait beau, les gens étaient sympas, la nature était magnifique… En gros, tout était paradisiaque.
On dit souvent que vos BD sont générationnelles. Est-ce qu’on peut dire que c’est dans l’air du temps de délaisser Paris pour la province?
Je crois qu’il n’y a aucun lien entre ma BD et le fait que les gens quittent Paris, d’autant plus qu’elle raconte une période de ma vie qui remonte à il y a 6 ou 7 ans. Cela dit, c’est vrai que le livre sort à un moment où beaucoup de Parisiens se posent la question de savoir s’ils vont déménager ou pas. La situation actuelle n’est pas facile à vivre dans les grandes villes et surtout à Paris. Effectivement, j’entends énormément de personnes qui se demandent s’ils ne vont pas franchir le pas du déménagement, ce qui est lié aussi au fait que beaucoup de Parisiens ont passé le confinement en province. Du coup, quand t’as goûté à cette qualité de vie et que tu dois reprendre le quotidien à Paris, il y a souvent un déclic qui se crée. Cela vient aussi de l’envie de voir ses enfants grandir autrement et de profiter du temps d’une autre manière.
En parlant du confinement, comment avez-vous vécu cette période?
On l’a vécu super bien. En tant qu’auteurs de bande dessinée, notre quotidien est déjà celui de personnes confinées puisqu’on bosse en slip dans notre salon (rires). Le seul truc fondamental qui a vraiment changé, c’est qu’on n’était plus obligés de se lever pour emmener les filles à l’école. Et ça, c’était vraiment cool ! Il a fallu aménager un peu les choses au début parce qu’on se retrouvait à quatre sous le même toit avec chacun des choses à faire, mais une fois qu’on a trouvé notre équilibre, ça a été une très belle période.
Le confinement est-il quelque chose dont vous pourriez parler dans une de vos prochaines bande dessinées?
Non, pas du tout. Comme je l’ai dit, c’est une période que j’ai vécu plutôt tranquillement. Je n’ai donc rien de particulier à raconter à ce propos. En plus, ça ne fait pas partie des sujets pour lesquels j’ai un élan narratif. Il y en a d’autres qui vont sûrement raconter le confinement très bien, et ce sera parfait comme ça.
Pourquoi avoir opté pour un format de bande dessinée plus classique pour « Le printemps suivant »?
Parce que j’avais envie de m’essayer à autre chose. Et puis, parce que je voulais raconter une histoire avec une vraie trajectoire de personnages, avec un début, un milieu et une fin. Le format long était donc ce qu’il y avait de plus adapté pour raconter cette histoire. Je crois que des petites séquences avec un gag par page ou un gag toutes les deux ou trois pages, ça aurait limité le potentiel du récit.
Vous avez demandé des conseils à d’autres auteurs de BD avant de vous lancer dans ce nouveau projet?
Oui, j’ai demandé à Pacco bien sûr! C’est vraiment mon co-auteur. C’est la personne avec qui je travaille tout le temps. On bosse ensemble sur tous nos projets. Il m’a bien conseillée parce que c’est quelqu’un qui est passionné par les techniques de récit et les structures narratives. Il avait clairement une longueur d’avance sur moi en la matière.
Vous mettez en scène votre propre famille dans votre BD. Comment réagissent vos filles? Est-ce que vous leur soumettez vos histoires avant de les dessiner?
Non, on ne leur soumet pas. En même temps, elles sont habituées à ça depuis qu’elles sont toutes petites. Pour elles, il y a donc une forme de normalité là-dedans. Aujourd’hui, comme elles sont plus grandes, on leur demande leur avis quand il y a des choses sur lesquelles on a un doute. Mais jusqu’à présent, elles ne nous ont encore jamais demandé de changer un dessin ou une histoire.
Dans ce nouvel album, vous optez une nouvelle fois pour l’autofiction. Vous comptez toujours rester dans ce registre? Ou est-ce que d’autres genres vous intéressent aussi?
Je ne peux évidemment pas prédire l’avenir. Rien n’est exclu, mais pour l’instant, ce qui m’éclate c’est l’autofiction. J’adore vraiment ça. J’aime puiser dans mon quotidien, j’aime regarder cette espèce de film qui se déroule en permanence sous mes yeux et pouvoir en extraire des choses drôles ou touchantes.
C’est parce que c’est plus facile de se moquer de soi-même que des autres ?
Non, ce n’est pas si facile de se moquer de soi-même. Quand on parle de soi, il y a forcément des choses qu’on n’a pas envie de regarder en face ou des trucs sur lesquels on n’a pas envie de s’égratigner. C’est pour ça que c’est génial pour moi de pouvoir compter sur le regard extérieur de Pacco.
« Le printemps suivant » sera une histoire en deux tomes. Quand sort le prochain?
J’ai dit à mon éditeur que ce serait en 2022.
Le blog, c’est définitivement fini?
Je n’aime pas parler de définitif. Mais c’est clair qu’avec la facilité de lecture et d’accès que permet Instagram, il n’y avait pas de raison de continuer le blog. Il n’accueillait presque plus de visiteurs, alors que c’est quand même quelque chose qui me demandait beaucoup d’intendance. Si un jour, on doit relancer le blog, on le fera. Mais en attendant, Instagram est beaucoup plus pratique.
Gérer un compte Instagram avec 300.000 followers, ça doit prendre du temps, non? Vous parvenez à faire ça à côté de la bande dessinée?
Pour moi, ça fait vraiment partie de mon métier. Gérer mon Instagram et entretenir le relationnel avec mes lectrices, c’est très important pour moi. Ça me tient à cœur d’être présente autant que possible pour répondre aux questions des gens qui me suivent.
Est-ce que vous vous considérez comme la cheffe de file d’une génération d’autrices?
C’est difficile pour moi de répondre à cette question, parce que je crois que ce serait un peu arrogant de ma part de dire que je suis une cheffe de file. Cela dit, c’est vrai que je suis très régulièrement contactée par des jeunes autrices et des jeunes auteurs qui viennent me demandes des conseils. A chaque fois, je suis hyper contente de pouvoir les aider et les rassurer. Je sais aussi que le style de Pénélope Bagieu, qui a percé avant moi, et ensuite le mien, ont fait école d’une certaine manière. Il y a plein de jeunes illustratrices aujourd’hui qui empruntent nos codes. Et ça me ravit! Cela prouve que mon travail a été marquant, ce qui est évidemment très cool.
En même temps, il y a des dessins sur les réseaux sociaux qui ressemblent quand même très forts aux vôtres. Ca ne vous dérange pas?
Oui, ça arrive souvent. Mais je ne trouve pas ça gênant, parce que de mon côté, mon style continue à évoluer en permanence. Ce que je fais aujourd’hui n’a rien à voir avec ce que j’ai pu faire hier. Du coup, les jeunes illustratrices qui s’inspirent de mon travail s’inspirent souvent de ce que je dessinais il y a cinq ou six ans. En réalité, je trouve ça plutôt attendrissant. C’est génial de voir que des filles osent se lancer dans le dessin, alors que par le passé, elles ne se seraient sans doute jamais autorisées à le faire.