Pluie
Kirsty GUNN
Traduit de l'anglais par Anouk NEUHOFF
Editions Points, novembre 2005
133 pages
Thèmes : Famille, fratrie, Amour, Enfance
Par la voix de Janey, nous remontons le temps vers l'été de ses treize ans, et lorsque son frère, Jim Little, en avait cinq.
Nous les trouvons dans la maison familiale au bord du lac, ce lac qui les attire jour après jour, qui leur permet de vivre mille aventures... Ce lac qui leur permet de s'évader aussi.
Janey, petite maman de son petit frère, qui recherche tant l'amour et la reconnaissance maternels.
Elle aurait dû le savoir depuis le début; mon père aurait dû le savoir: les enfants ont le chic pour précipiter la fin. Par petits morceaux, peut-être, une berge qui s'effrite, une lueur dans l'œil d'un père ou d'une mère, ou encore d'un seul coup, la terre qui se disloque, ne laissant qu'un trou béant là ou l'herbe plongeait autrefois ses racines.
Leurs parents ne s'occupent guère d'eux. Ils se satisfont d'eux-mêmes.
Leur père est entièrement dévoué à leur mère. C'est pour elle qu'il a acheté cette maison, ici, à cet endroit-ci et pas à un autre, qu'il a bravé la pluie, les empêchements. Pour elle. Tout pour elle.
Elle qui passe ses journées à dormir, à récupérer de ses soirées festives où se bousculent nombres d'invités et de voisins, où la musique vibre et où l'alcool coule à flots.
Selon sa mère, Janey est la seule à savoir remplir son verre comme il faut : la dose parfaite de whisky et le nombre adéquat de glaçons.
Elle était belle, c'était tout.
Elle vous impressionnait davantage dans ses moments de révolte, mais au fond elle n'était pas différente des autres gens. Elle était seule elle aussi. Elle aussi redoutait ces vicissitudes de la vie auxquelles rien ne pouvait plus remédier. L'avenir gâché et plus rien d'autre désormais que le passé, qui vous rattrapait inexorablement.
Aujourd'hui, je comprends ces choses-là, bien sûr. Les années ont passé. Pourtant, à l'époque aussi, je portais en moi les principes de cette compréhension.
Habitudes délétères, circonstances qui permettent aux dangers d'advenir, innocence de l'enfance, recherche éperdue d'amour(s)...
Page après page, on pressent un drame, et même plusieurs, on pressent leurs irrémédiabilités, rien n'est expressément dit, tout est ressenti.
La temporalité est malmenée, les souvenirs s'entremêlent, le père se confie étrangement, comme s'il expliquait, comme s'il (s')excusait par avance...
Et ce rapport à l'eau, à l'élément liquide, dans toutes ses formes, constant...
Le dernier chapitre peut perdre le lecteur, il n'a pas la même teneur narrative. Il est froid, descriptif, maintient à distance tout en oppressant. Et ainsi nous est raconté ce qui ne peut avoir de mots.
Aussi glaçant et tragique soit-il, cet évènement n'est pas celui qui m'a le plus marquée. Ni à ma première lecture qui remonte à plusieurs années sans que je puisse dire quand, ni à cette deuxième (je savais que je relirai un jour ce roman, sans que je puisse l'expliquer, comme s'il fallait que je le comprenne, cerne mieux).
C'est comme si la narratrice s'excusait, se retranchait.
Je ne veux pas en dire trop car cela vous enlèverait toute la découverte de cette lecture.
Bref, un roman au thème classique mais à la trame marquante, dérangeante, tragique.
Le comportement des parents, le sentiment oppressant, le malaise croissant, tout cela m'a renvoyée au magnifique roman d'Olivier Bourdeaut,En attendant Bojangles.
Belles lectures et découvertes !
Blandine.