Soit le thème des migrants me touche à coup sûr, soit les auteurs qui s’en sont emparé ont tous un talent incroyable, dans tous les cas je viens une nouvelle fois d’être profondément heurtée par un roman sur ce sujet.
American Dirt nous embarque de l’autre côté de l’Atlantique, au Mexique. Lydia, libraire, y vit avec son mari Sebastian et son fils Luca. Sebastián exerce le périlleux métier de journaliste dans un pays tombé depuis longtemps entre les mains des cartels de la drogue. Ecrire sur les cartels expose forcément Sebastián et sa famille. Lydia en a conscience, son mari et elle se montrent prudents mais acceptent de vivre avec cette épée de Damoclès au-dessus de la tête au nom de leurs idéaux, de ceux de Sebastián surtout. Jusqu’au jour où le pire arrive. En une fraction de seconde la vie de Lydia vole en éclats, elle doit fuir sa ville et son pays avec son fils. De citoyenne bien installée, elle passe en un instant au statut de migrante prête à tout pour sauver sa peau et plus encore celle de son fils. Ce qui les attend en route est presque aussi effroyable que ce qu’ils ont laissé derrière eux. Il faudra tout le courage et la détermination d’une mère et un peu d’énergie du désespoir aussi pour tenter l’aventure, presque systématiquement vouée à l’échec, d’entrer illégalement aux Etats-Unis.
La plupart des gens, à l’instar de Lydia, ne voulaient pas savoir. Ils s’efforçaient de s’abstraire de la violence hideuse des narcos parce qu’ils n’avaient aucun moyen de la contrôler. Sebastián, lui, la pistait avec hargne. Une presse libre constituait la dernière ligne de défense, disait-il, la seule chose qui se dressait entre la population mexicaine et son annihilation totale. C’était sa vocation, affirmait-il, et naguère Lydia avait admiré cet idéalisme. Elle imaginait que tout enfant engendré par Sebastián sortirait de son ventre doté d’une moralité entièrement constituée et irréprochable. Qu’elle n’aurait même pas à lui enseigner la différence entre le bien et le mal. Mais, à présent, les cartels assassinaient un journaliste mexicain presque chaque semaine, et Lydia jugeait plus sévèrement l’intégrité de son mari. Elle lui trouvait un côté moralisateur, égoïste. Sebastián vivant lui importait plus que ses solides principes. Elle souhaitait qu’il change de profession, qu’il fasse autre chose, de plus simple et de moins dangereux. Tout en essayant de le soutenir, elle enrageait parfois de le voir affronter un tel danger.
American Dirt, tout autant que Mur méditerranée et Là d’où je viens a disparu ont le mérite d’éveiller nos consciences, non pas en nous parlant du drame des migrants mais en nous parlant de celui de Lydia, Rafael, Luis ou Chochana. C’est facile de se tenir à distance tant que l’on n’entre pas dans l’intimité d’un candidat à l’exil, qu’on ne partage pas son désespoir et son rêve d’ailleurs, sa route semée d’embûches, ses batailles, ses victoires et ses échecs. C’est facile de dire qu’il faut les renvoyer dans leur pays tant que l’on n’a pas pris la mesure de ce qu’était devenue leur vie dans ce pays qui les a vus naître, de l’impossibilité d’y rester sans finir par y rester. Et inévitablement arrive le moment où l’on se met à leur place et où on leur reconnaît un courage que l’on n’aurait peut-être pas, à moins qu’aculé comme ils le sont, il n’y a véritablement aucune alternative possible.
Le taux d’affaires criminelles non résolues au Mexique dépasse les quatre-vingt dix pour cent. L’existence d’une policia en tenue constitue un poids illusoire à l’impunité réelle du cartel. Lydia le sait. Tout le monde le sait.
American Dirt comme les deux autres romans cités précédemment nous oblige à nous investir corps et âme dans notre lecture. Ce sont des livres qui forcent l’empathie, qui font vibrer chaque parcelle de notre être et qui habitent nos pensées en permanence. C’est tout ce que j’aime en littérature, tout ce que je viens chercher dans un livre, tout ce que j’ai envie de recommander et de défendre.
Si vous aimez les livres audio, n’hésitez pas à découvrir American dirt par la voix de Mélissa Windal. Le ton est toujours juste. La tension, la peur, la rage, la colère comme l’espoir sont parfaitement interprétés par cette narratrice que je ne connaissais pas mais que j’ai pris grand plaisir à découvrir. Elle a su maintenir mon attention au plus haut tout au long de cette lecture, signe que le fond mais aussi la forme étaient bien au rendez-vous. Un excellent moment d’écoute assurément.
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L’ESSENTIEL
American Dirt
Jeanine CUMMINS
Editions Philippe Rey en GF et Lizzie en audio
Sorti le 20/08/2020 en GF et le 08/10/2020 en audio
542 pages (14h20 d’écoute)
Lu par Mélissa Windal
Genre : roman contemporain
Personnages : Lydia, son mari Sebastian et son fils Luca
Plaisir de lecture :
Plaisir d’écoute :
Recommandation : oui
Lectures complémentaires : Mur Méditerranée de Louis-Philippe Dalembert, Là d’où je viens a disparu de Guillaume Poix, 19 femmes de Samar Yazbek, Girl d’Edna O’Brien
RÉSUMÉ DE L’ÉDITEUR
Un livre puissant et bouleversant, nécessaire à notre époque troublée
Libraire à Acapulco, au Mexique, Lydia mène une vie calme avec son mari journaliste Sebastián et leur famille, malgré les tensions causées dans la ville par les puissants cartels de la drogue. Jusqu’au jour où Sebastián, s’apprêtant à révéler dans la presse l’identité du chef du principal cartel, apprend à Lydia que celui-ci n’est autre que Javier, un client érudit et délicat avec qui elle s’est liée dans sa librairie… La parution de son article, quelques jours plus tard, bouleverse leur destin à tous.
Contrainte de prendre la fuite avec son fils de huit ans, Luca, Lydia se sait suivie par les hommes de Javier. Ils vont alors rejoindre le flot de migrants en provenance du sud du continent, en route vers les États-Unis, devront voyager clandestinement à bord de la redoutable Bestia, le train qui fonce vers le nord, seront dépouillés par des policiers corrompus, et menacés par les tueurs du cartel…
Porté par une écriture électrique, American Dirt raconte l’épopée de ces femmes et de ces hommes qui ont pour seul bagage une farouche volonté d’avancer vers la frontière américaine. Un récit marqué par la force et l’instinct de survie de Lydia, le courage de Luca, ainsi que leur amitié avec Rebeca et Soledad, deux sœurs honduriennes, fragiles lucioles dans les longues nuits de marche…
Hymne poignant aux rêves de milliers de migrants qui risquent chaque jour leur vie, American Dirt est aussi le roman de l’amour d’une mère et de son fils qui, au cœur des situations tragiques, ne perdent jamais espoir. Un roman nécessaire à notre époque troublée.
TOUJOURS PAS CONVAINCU ?
3 raisons de lire American Dirt
- Parce que cette histoire est glaçante mais d’un réalisme confondant
- Parce que l’auteure nous dépeint une galerie de personnages passionnants
- Parce que ce sujet d’actualité mérite que l’on s’y intéresse encore et encore
3 raisons de ne pas lire American Dirt
- Parce que le sujet est tragique et que vous ne lisez peut-être pas pour vous plomber le moral
- Parce que cette route vers la sécurité et la liberté est tellement semée d’embûches que ça peut paraître beaucoup à certains
- Parce que la fin est assez attendue
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