L’aveuglement de José Saramago

Par Krolfranca

L’aveuglement

José Saramago

Traduit du portugais par Geneviève Leibrich

Seuil

1997

Version poche 365 pages

« Nous avons fait de nos yeux des sortes de miroirs tournés vers le dedans, avec pour conséquence, très souvent, qu’ils montrent sans réserve ce que nous nous efforçons de nier avec la bouche. »

Quelle épreuve !

Vous me direz : quelle idée aussi de lire un livre sur une pandémie en pleine période de Covid ! Et bien figurez-vous que ce roman permet de relativiser. On est loin, très loin, de vivre le cauchemar des personnages de ce livre. Et heureusement !

J’ai avalé les pages avec avidité et dégoût, avec intérêt et horreur, avec passion et terreur. En deux mots : une épidémie se répand à une vitesse fulgurante, ceux qui en sont atteints deviennent aveugles. Pas pratique, n’est-ce pas ? Imaginez-vous ne plus voir d’une minute à l’autre. Vous êtes au volant de votre voiture et paf ! plus rien, le noir total ! Ah non, pas exactement, ce n’est pas le noir mais plutôt le blanc total.

Et pour ajouter un peu de piment à l’affaire, le gouvernement va mettre en quarantaine les aveugles afin qu’ils ne contaminent pas les autres. Ce sera peine perdue, d’ailleurs… Quoi ? Un confinement qui ne sert à rien ? Oh, oh… bizarre… Il faut dire que dans ce cas, la contagion est tellement rapide qu’il n’y a pas grand-chose à faire. Et ouf ! C’est de la fiction !

Et là, l’auteur va décrire avec fougue les multiples réactions de ces hommes et de ces femmes enfermées contre leur volonté, leurs interactions, et bien sûr, la part sombre de l’Homme va surgir, terrible, honteuse, jusqu’à donner la nausée. Et l’on ne s’étonne pas parce qu’on sait bien que l’Homme est loin d’être un agneau innocent, la part sombre et perverse qu’il a en lui ne demande qu’à surgir dès que l’occasion se présente. L’Homme n’est plus homme, il n’est plus que bête.

J’ai eu l’impression de vivre dans la saleté, la crasse, la merde, les odeurs nauséabondes en permanence. Bah oui, que faire lorsqu’il n’y a plus d’eau à disposition ? L’auteur est fort, très fort ! Lorsque je reposais le livre pour souffler un peu et respirer l’air pur dans mon jardin aux belles couleurs vertes et jaunes, j’avais l’impression d’avoir réellement vécu les événements, j’étais enfermée avec les personnages, je tâtonnais comme eux, et surtout j’ai extrêmement bien visualisé certaines scènes à la limite du supportable.

Je n’en dirai pas davantage, je ne veux pas vous dégoûter mais au contraire saluer le talent de l’auteur qui grâce à un style très particulier parvient à nous immerger totalement dans le monde qu’il a créé comme si nous étions au cinéma. D’ailleurs à ce propos, ce roman a été adapté au cinéma et bien sûr… j’ai trouvé le film !

« La voix est la vue de celui qui ne voit pas ».

Ce roman délivre aussi un message philosophique assez intéressant : ne sommes-nous pas aveugles, nous, les voyants ? Nous pensons savoir, comprendre, parce que nous voyons, mais qu’en est-il réellement ? Est-ce qu’on ne nous rend pas aveugles ? Ne nous aveuglons-nous pas nous-mêmes ? Qu’est-ce que voir ?

Le style, quant à lui, est inimitable. Comment le définir au plus juste ? José Saramago décrit et commente, il parsème son texte de réflexions, de remarques, qui le rendent réel, vivant, bien vivant. Ses phrases sont longues, pleines de virgules qui permettent les apartés. J’ai été un peu gênée au début par la mise en forme des dialogues, entre les virgules, avec juste la majuscule pour repérer le changement de locuteur. Mais ces dialogues insérés dans la narration, donnent au texte le souffle si particulier et si nécessaire à sa démonstration.

Ce roman prouve, s’il en est besoin, que José Saramago est un grand auteur qui peut redonner la vue à ceux qui l’auraient perdue.

Grâce à ce roman, je participe (enfin !) au challenge d’Antigone puisque j’ai sorti ce livre de ma PAL.