Gabrielle Wittkop : Les Héritages

Par Lebouquineur @LBouquineur

Gabrielle Wittkop née Gabrielle Ménardeau (1920-2002), est une femme de lettres française et traductrice. Elle est l'auteure d'une littérature dérangeante, macabre, bien souvent au-delà de toute morale. Son style, ainsi que ses centres d'intérêt (thanatos, sexe, identité de genre, étrangeté) apparentent son œuvre à celles du Marquis de Sade, de Villiers de L'Isle Adam, de Lautréamont ou d'Edgar Allan Poe. Elle rencontre dans le Paris sous occupation nazie un déserteur allemand homosexuel du nom de Justus Wittkop, âgé de vingt ans de plus qu'elle. Ils se marient à la fin de la guerre, union qu'elle qualifiera d'« alliance intellectuelle », elle-même affichant à diverses reprises son homosexualité. Le couple s'installe en Allemagne où Gabrielle Wittkop vivra jusqu'à sa mort d’un probable suicide ( ?) atteinte d’un cancer au poumon. Les Héritages, roman inédit, vient de paraître.

En 1895, Célestin Mercier fait construire une villa – Séléné - en bord de Marne et finit par s’y pendre ! La maison désormais hantée, connaitra plusieurs propriétaires et de multiples locataires durant un siècle, jusqu’en 1995, date à laquelle elle sera détruite, devenue insalubre, mais laissant place à un vaste terrain riche en profit immobilier.

Le roman est assez mince, pourtant Gabrielle Wittkop réussit à en faire une sorte de mini « comédie humaine » en y casant une ribambelle de personnages – dont beaucoup vont mourir - de toutes les catégories sociales qui traverseront le siècle et ses remous. Pour ne citer que quelques figures par ordre d’entrée en scène, vous y trouverez un amateur de roulette russe, une artiste qui peint ses visions, un inspecteur de police accordéoniste frustré, un couple homosexuel avec un corbeau, un pharmacien exhibitionniste, un égyptologue britannique, le rat Astérix etc.

Pour les époques et donc l’Histoire, la Grande guerre, la Seconde avec l’Occupation et une famille Juive cachée dans le sous-sol, les années Sida. L’écrivaine n’oublie pas les amours homosexuelles, le féminisme et un chouya de fantastique mineur avec le « petit sac de moleskine noire » qui apparaît et disparaît tout du long du roman, vestige du pendu d’origine.

Tout ceci vous semble disparate ou hétéroclite, sachez pourtant que l’intérêt principal de ce bouquin réside dans son écriture. Un style extrêmement personnel, qui marie quelque chose du style XIXème avec des phrases alambiquées mais ciselées, un vocabulaire recherché, mêlé à un ton très moderne qui n’exclut pas l’humour (« Joachim Soupé ferma définitivement ses yeux de cygne, à l’âge de quatre-vingt-sept ans, se disant peut-être qu’il partait pour le ciel, puisque là les potes iront. »)

J’ai trouvé ce livre particulièrement intrigant. Si pour vous la lecture va au-delà de la simple histoire/intrigue d’un roman, goûtez cette écrivaine à la saveur originale ; quant à moi, je me promets d’en reprendre une lampée avec un ouvrage plus corsé puisque aux dires de sa biographie elle a écrit des romans plus musclés ( ?).

« Comme tout chasseur, Jacques Grenier haïssait les chats dont il ne pouvait souffrir la concurrence. (…) Aussi, quand au volant de sa grosse Mercedes il apercevait quelque chat courant le long de la route ou la traversant, donnait-il du gaz et, dirigeant adroitement la voiture, allait-il écraser l’infâme, ce dont il tirait une immense satisfaction. Or un soir qu’ayant aperçu un grand chat roux dans la lueur des phares il fonçait sur lui, un camion venant en sens inverse emboutit frontalement la Mercedes de Jacques Grenier. On l’en retira à la cuiller, après une mort beaucoup trop prompte, cependant que le grand chat roux était déjà retourné sans encombres à ses chasses, rare exemple d’une immanente justice. »

Gabrielle Wittkop   Les Héritages   Christian Bourgois Editeur – 170 pages –