En deux mots:
Un accident de voiture qui coûte la vie à un jeune homme quelque part dans la province française. Un fait divers qui n’aurait fait que quelques lignes dans le journal si un mystérieux observateur n’avait pas tout vu, nous livrant tous les détails de cette tragédie.
Ma note:
★★★ (bien aimé)
Ma chronique:
Un village presque sans histoire
Après Les embruns du fleuve rouge Élisabeth Larbre a choisi la campagne française pour nous raconter un drame qui va entraîner, de révélations en révélations, toute une communauté.
Ce pourrait être un fait divers banal, l’histoire d’un jeune homme qui vole un véhicule de service et file sur une route de campagne. Étant trop jeune pour avoir le permis de conduire, il se sent grisé par la vitesse et oublie toute prudence jusqu’à perdre le contrôle du véhicule et se fracasser avec son véhicule. Quand la police arrive sur les lieux, elle ne peut que constater son décès.
Ce pourrait être un fait divers banal, sauf que le mystérieux narrateur de ce roman, sorte de vigie de ce village, a tout vu et a fait partager son omniscience au lecteur.
Clément n’est pas mort de son intrépidité, mais a été assassiné parce qu’il avait découvert le lourd secret du père François, très intéressé par les petites filles, notamment celles qui s’égarent lorsque le camp de vacances s’installe dans la commune. Le capitaine Brieuc, qui mène l’enquête, sent que quelque chose est louche dans cette affaire trop simple. Le récit du seul témoin de l’accident est trop bien huilé pour être honnête, tandis que Cyril, l’assassin présumé n’a pas le profil d’un tueur. Le vieil homme est désemparé dans sa cellule.
Désemparés, Linda et Martial le sont tout autant. Même si leur adolescent de fils leur donnait bien du fil à retordre, les parents de Clément se retrouvent désormais seuls, face à leur histoire qu’ils sont incapables de remettre en ordre. Pour eux aussi, cela sent la fin…
On l’aura compris, sur fond de polar, Élisabeth Larbre a choisi de placer la solitude au cœur de ce roman rural. Cette solitude qui vous pèse, vous colle à la peau, vous entraîne sur la mauvaise pente. Et contre laquelle vous ne pouvez bien plus lutter, plongeant dans l’alcool, les addictions. Une spirale infernale qui va entrainer toute une communauté. Si, comme dans Les embruns du fleuve rouge, la psychologie des personnages est bien campée et la plume reste allègre – malgré quelques coquilles ici et là – j’avoue ne pas avoir été emballé par l’idée de confier ce récit à une voix mystérieuse et au chapitre final. Mais cette exploration de la France rurale et du mal-être qui semble s’y développer conserve bien des qualités. Aucune génération ne semble y échapper. Ici, le roman illustre bien mieux que de longues études sur le déterminisme social, les maux de nos campagnes.
Le Veilleur des songes
Élisabeth Larbre
Fauves Éditions
Roman
270 p., 21 €
EAN 9791030203639
Paru le 21/10/2020
Où?
Le roman est situé en France, dans un village qui n’est pas précisément situé.
Quand?
L’action se déroule de nos jours.
Ce qu’en dit l’éditeur
Une nuit d’automne, les habitants d’un charmant village se trouvent confrontés à un drame aussi terrible qu’inattendu. Dès lors ce joli cadre champêtre va devenir malgré lui le théâtre de lourdes révélations. Par la bouche et les yeux d’un mystérieux narrateur, le lecteur se voit entraîné au fin fond de cette campagne secouée par les secrets bien gardés de ses habitants. Chacun tisse sa toile et très vite la vie de tous se mêle et s’entremêle. Un couple se déchire, un ado à l’esprit fragile et pervers fait les quatre cents coups, un paysan aux mœurs inavouables se confronte à un capitaine de gendarmerie, un jeune veuf solitaire, ivre du matin au soir, devient pour tous ou presque la cible parfaite…
Les autres critiques
Babelio
Lecteurs.com
Les premières pages du livre
Je n’appellerai plus personne «mon chien»
Au début ils venaient à deux. Elle était avec lui. Je les entendais rire du bas du sentier. Ils arrivaient en courant et s’asseyaient par terre, tout essoufflés, sans même me regarder. Pourtant ils savaient que j’étais là! À deux pas derrière eux. D’ailleurs, même s’ils me tournaient le dos je crois pouvoir dire que c’était un peu pour moi qu’ils s’exhibaient ainsi; ils appréciaient que je les surprenne quand ils s’embrassaient à pleine bouche et se caressaient. Ils avaient besoin que je les assiste, que je sois témoin de leur passion dévorante. Ils n’auraient accepté cela de personne d’autre! De temps en temps l’un d’eux basculait la tête en arrière et m’envoyait un petit coup d’œil complice. J’aimais bien ce ménage à trois; surtout lorsqu’ils roulaient nus dans l’herbe. Je tenais la chandelle mais j’existais! Je comptais pour quelqu’un… Il n’y a rien de pire que la solitude. Croyez-moi, je sais de quoi je parle! Je n’ai plus vingt-ans, bientôt soixante, et pour tout vous dire: je suis toujours vert et d’allure altière! Grand, élancé, et bien bâti, même si comme tout le monde avec l’âge, je me déplume un peu. Mais où en étais-je? Ah, oui! La solitude… Un vrai fléau cette garce-là! Lorsqu’elle vous tient, elle ne vous lâche plus. J’ai dû faire avec depuis toujours et, petit à petit, ai fini par trouver comment m’y prendre. J’écoute et j’observe. C’est fou comme on se sent moins seul quand on ouvre un peu ses yeux et ses oreilles! Une vieille amie – paix à son âme – vous aurait dit: «Quand on ouvre son cœur!» Mais de ça, je vous parlerai plus tard. Peut-être.
À présent, Clément, l’ex-fringant jeune homme d’à peine vingt ans qui se roulait dans l’herbe avec sa belle, vient toujours me voir. Quinze ans ont passé et c’est à son tour d’être seul. Plus que jamais, en cette fin d’été il a besoin de ma compagnie.
J’avais été témoin de leur premier baiser et de tout le reste, Vous pensez! Ça crée des liens! Des vrais! Les mots sont inutiles: on se comprend. Clément est capable de demeurer des heures assis à côté de moi sans parler. Je sais qu’il pense à elle et il sait que je le sais. Alors? Juste une petite tape amicale pour se dire au revoir et basta! Nos cœurs se répondent. C’est tout ce qui compte. La première fois qu’il est venu sans elle, j’ai tout de suite compris que quelque chose de grave était arrivé. Il avait pris dix ans en une semaine. Lui, si vif, si alerte, traînait les pieds sur l’herbe grasse et regardait dans ma direction. Il y avait du vent. De vraies bourrasques! Tout s’agitait autour de nous. Et pourtant nous étions seuls au monde. Lui avec son chagrin, moi avec mon inquiétude. Quand il s’est approché, j’ai vu aussitôt qu’il avait pleuré. Je ne me souviens plus très bien de la suite. Je crois pouvoir dire qu’il m’est littéralement tombé dessus. Je sentais ses larmes rouler sur ma peau et son cœur cogner contre ma poitrine. Je restais bien droit; je ne voulais pas qu’il s’affaisse et faisais tout pour le soutenir de mon mieux. Il m’a serré fort contre lui. Sa peau exhalait la sueur et l’alcool. Il n’a pas dit un mot, puis est reparti sans se retourner. Le lendemain je l’ai attendu mais en vain. Deux jours plus tard, j’apprenais qu’elle s’était jetée du vieux pont. Elle ’appelait Marie et n’avait que dix-neuf ans. Ils enduraient la perte de leur bébé, et n’avaient pas eu le temps de me le présenter. Le père François La Perche – le vieil agriculteur qui souvent accourt se soulager dans mon champ après les bistrot – marmonnait l’autre jour que Clément passe désormais le plus clair de son temps à siroter des petits blancs. C’est vrai qu’il ne vient plus tous les jours. C’est vrai aussi que je l’aperçois zigzaguer sur le sentier. Mais qui serait capable de marcher droit avec un tel poids sur les épaules? Heureusement l’été est là! Peut-être que la douceur des soirées tiédies au parfum de glycine ou les nuits étoilées du mois d’août vont alléger son fardeau? Qui sait? On se sent plus proche du Bon Dieu dans ces moments-là. Moi, en tout cas c’est l’effet que ça me fait! Mon âme s’élève et ma solitude s’évapore. Les yeux perdus dans l’immensité du ciel, j’ai impression de devenir meilleur. Se pardonner à soi-même… C’est ce qu’il y a de plus difficile à faire! N’est-ce pas? Surtout si celui ou celle que vous aimez a choisi d’arrêter le film sans crier gare. On se sent toujours coupable de quelque chose. Moi, c’est quand mon chien m’a quitté. Je l’avais recueilli. Il était aussi seul que moi. On a décidé d’être seuls à deux comme bien des couples. Ma foi, rien de bien original. Quoique! Notre vie à deux a duré quinze ans! Quinze années de confiance mutuelle, de complicité totale sans aucun nuage. Il se couchait à mes pieds le museau entre les pattes et s’endormait tranquillement. Quelques petits jappements quand il rêvait. Rien d’autre. Je veillais sur lui. Il me rendait la pareille. L’équilibre.
Tiens! Les nuages se sont accrochés au clocher du village: il pleuvra demain…
Un jour je l’ai aperçu qui venait vers moi en traînant les pattes arrière. Il avait la queue basse et les oreilles aussi. Il n’osait pas me regarder, mais me jetait des petits coups d’œil pour voir si, moi, je l’observais. Je suis sûr qu’il se savait malade, mais ne voulait pas qu’on en parle. Il avait le poil terne et ne tenait pas en place. Il s’est frotté plusieurs fois contre moi. Il cherchait probablement les caresses, mais je n’ai pas cédé. Je l’aimais trop pour cela. Des enfants l’ont trouvé raide mort dans le bas d’un fossé, près de la rivière à l’entrée du village. Son pelage blanc et noir était trempé et dégageait une banale odeur de chien mouillé. C’est tout. Les gamins sont venus m’annoncer la triste nouvelle; je n’ai même pas pu pleurer. Ils m’ont dit qu’il l’avait enterré là-bas sur place et m’ont demandé son nom pour inscrire sur la croix en bois qu’ils lui avaient fabriquée. Son nom? Je ne lui en ai jamais donné! Je l’appelais «mon chien». Ça suffisait! Il savait que c’était lui et personne d’autre. Je n’appellerai plus personne «mon chien».
À propos de l’auteur
Tout en préservant sa passion pour l’écriture et la littérature, Élisabeth Larbre, docteur ès Sciences, a exercé de nombreuses années dans l’industrie. Auteure d’un premier roman, Les embruns du fleuve Rouge, elle a remporté le Prix du Livre Indépendant Montbestseller (2016) avant de publier son ouvrage aux éditions Carnets Nord (2018). (Source: Fauves Éditions)
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