Définition de chambre noire: (en latin " camera obscura ") est un instrument optique objectif qui permet d'obtenir une projection de la lumière sur une surface plane, c'est-à-dire d'obtenir une vue en deux dimensions très proche de la vision humaine. Choix de titre très pertinent : l'écriture-instrument qui permet à l'auteure de retranscrire une vision du monde. La couverture donne le ton : une salle de cinéma, un écran où une femme allongée sur le sol émeut, questionne. Un petit air de voyeurisme certain, dérangeant mais surtout terriblement intrigant. Flash sur le côté sombre de l'âme humaine.
Karine Giebel possède un pouvoir démoniaque. Celui de nous transformer, nous pauvres lecteurs présumés innocents en voyeurs sadiques et tortionnaires. Initialement, tout va bien dans le meilleur des mondes, tout est à sa place : nous savons distinguer le bien du mal, différencier la victime de l'assassin. Mais voilà, dans les romans de Karine Giebel, la limite entre la victime et le bourreau est si ténue que nos émotions de lecteur en sont bouleversées. Impossible de rester de marbre face à ces personnages: l'autrice va bafouer notre innocence en nous faisant apprécier les crimes de ses personnages. Une victime que l'on va peu à peu se mettre à détester, des tortionnaires pour lesquels on va donner raison de torturer (Le Vieux Fusil). Derrière ce thème de la vengeance souvent évoqué dans les romans de l'autrice, se cache une image réaliste des travers du système judiciaire français.
Rares sont les auteurs qui parviennent à percevoir le monde avec une telle acuité, à retranscrire de façon si réaliste leur vision et à transmettre si intensément leurs émotions. Pour certaines de ces nouvelles, Karine Giebel confirme son statut d'autrice engagée qui dénonce les injustices de notre société " L'armée des ombres" , " Dans les bras des étoiles " mais également le statut des femmes dans des pays où sévissent guerres et religions (" " ). L'autrice a une façon bien à elle de nous faire prendre conscience du monde dans lequel nous vivons, ouvrir les yeux sur ce qui se passe, chez nos voisins mais également ce qui se trame hors de nos frontières. J'ai toujours l'impression de me prendre une bonne claque à la lecture de Karine Giebel car elle sait mieux que personne nous ramener à la réalité.
Une réalité comme celle de la pandémie que nous traversons, avec cette nouvelle inoubliable " Au revoir les enfants " . J'ai rarement ressenti autant d'émotion en lisant un texte. L'écriture très visuelle sert le réalisme du récit. Une réalité, dure, et crue, celle que nous sommes tous en train de vivre, cette période de confinement dramatique où l'on ne peut assister nos proches en fin de vie. Résidente d'un EPHAD, Yvonne a 96 ans, traine derrière elle de lourds souvenirs de la seconde guerre mondiale : aux portes des camps de la mort, elle a vu la sélection faite entre les forts et les faibles. L'horreur se reproduit quand face à la maladie, au manque de matériel et de médecin, il faudra de nouveau faire une sélection. Je me répète mais j'admire immensément l'acuité avec laquelle Karine Giebel observe notre époque, (nouvelle écrite au début du premier confinement), alors que nous n'avions pas de recul pour appréhender la situation.
Karine Giebel s'est inspiré du titre d'un film célèbre pour chacune des quatre premières nouvelles inédites de ce recueil. Les suivantes ont déjà été publié dans des recueils caritatifs. Je remercie Net Galley et les Editions Belfond pour cette lecture. Ce fut un plaisir de retrouver l'immense talent de l'autrice, qui excelle tant au niveau du roman que de la nouvelle à retranscrire une pléiade d'émotions pour lesquels nous ne sommes pas forcément préparés à la lecture d'un ouvrage de divertissement. Mille bravos.