La face cachée de Lily

En deux mots:
Le boucher complimente sa cliente pour le baiser passionné qu’elle a échangé avec son mari et dont il a été le témoin. Sauf que cette femme, ce n’était pas elle. Et voilà comment le doute s’installe et comment une vie sans histoires va basculer. L’heure de la révolte a sonné!

Ma note:
★★★ (beaucoup aimé)

Ma chronique:

Quand s’instille le poison du doute

Avec humour et un sens de la formule qui fait mouche Françoise Dorner raconte comment la vie d’une jeune femme va basculer après une remarque de son boucher. Désormais l’épouse modèle va tomber le masque. Jubilatoire!

C’est l’histoire d’un jeune couple de fleuristes dont la vie semble se dérouler paisiblement. Rien de bien spectaculaire dans leur relation, mais l’amour semble avoir cimenté le couple. Bref, tout va bien jusqu’à cette confidence de son boucher et le dialogue qui s’en suit, bel exemple du style enlevé de Françoise Dorner qui va faire mouche durant tout le roman :
« – Alors, dites donc, on se bécote le soir sous les portes cochères, comme des ados? J’aimerais bien que ma femme m’enlace comme ça après dix ans de mariage.
Je l’ai regardé, étonnée, n’ayant aucun souvenir de porte cochère.
– Avec la jupe fendue et le string, a-t-il précisé à voix basse. Il a de la chance, votre mari.
Il a pris mon silence pour de la pudeur, et il n’a pas insisté. J’ai tout de même réussi à demander un boudin blanc truffé, en plus du noir qu’il était en train de m’emballer. Je pensais qu’il s’abstiendrait de revenir à la charge, vu la réaction mortifiée que je ne parvenais pas à dissimuler sous mes efforts de diversion charcutière. Mais il n’a pu s’empêcher d’ajouter, en me rendant ma carte bancaire:
– Si vous pouviez en toucher un mot à ma femme…
– Pardon?
– Je lui en ai offert un pour Noël, et elle ne l’a jamais mis, elle dit que c’est vulgaire. Je pense que ça la ferait changer d’avis, venant d’une personne aussi classe que vous qui n’a pas peur de se contenter du string minimum…
Devant mon air ahuri, il a précisé en rougissant :
– Désolé, c’était de l’humour.
J’ai hoché la tête. Jamais je n’ai porté de string. Jamais mon mari ne m’en a offert. Et je suis toujours en pantalon.
– Hé ! Vous oubliez vos boudins!
En me les tendant, il m’a fait un clin d’œil assorti d’une moue rassurante, genre « ça restera entre nous »».
Comme elle s’est installée dans sa routine de couple, elle décide toutefois de ne rien dire à Arthur. Mais désormais le doute s’est installé. Chaque regard un peu appuyé pour une jolie femme devient suspect, chaque livraison chez une cliente qui se prolonge un peu fait naître la soupçon. Et tandis qu’Arthur fait comme si de rien n’était, elle s’étiole. Mais quand il lui annonce qu’elle pourra se reposer un peu parce qu’il a engagé une jeune stagiaire, elle décide de se jouer avec les armes de séduction massive. Mais ni le string, ni la jupe fendue n’ont l’air d’émouvoir plus que cela un mari distrait.
«Le couple, c’était donc cela. Soudain, tout s’arrête. Et, malgré des tentatives inutiles de séduction, on se retrouve dans l’incompréhension, et on cherche vainement à quel moment on n’a pas fait ce qu’il fallait, et on se sent coupable. Coupable de ne pas avoir été à la hauteur pour tenir sur la durée, coupable de n’avoir pas ressenti l’imperceptible usure qui fait passer de l’habitude à l’indifférence. Coupable d’avoir cru que l’homme à qui on avait dit «Oui» était sur la même longueur d’onde: à l’abri de toutes les tentations, loin du paraître et du mensonge, bien au chaud dans la confiance, la connivence, la sérénité.»
Alors pourquoi ne pas faire comme Arthur, essayer de trouver un amant. Il n’y a d’ailleurs pas besoin de chercher très loin, ce voisin croisé dans l’ascenseur pourrait fort bien faire l’affaire. D’autant qu’il a l’air d’apprécier sa présence.
Mais Françoise Dorner est bien trop habile pour se contenter d’une comédie de boulevard. La romancière accélère, à l’imager de la voiture qui a failli envoyer notre héroïne à la mort. Elle s’en sortira avec quelques hématomes, un petit coup du lapin et une double entorse genou-cheville. Et l’envie de ne plus s’en laisser compter. La voilà partie sur le terrain de chasse de son mari. Pourquoi ne pas goûter à l’attrait de l’inédit et lui voler Angélique? Et voilà comment une comédie légère bascule vers une introspection plus douloureuse. Suis-je celle que les autres ont envie de voir ou n’ai-je joué toute ma vie un rôle de composition? La face cachée de Lily mérite vraiment le détour!

La face cachée de Lily
Françoise Dorner
Éditions Albin Michel
Roman
160 p., 14,90 €
EAN 9782226453600
Paru le 2/11/2020

Où?
Le roman est situé en France, principalement à Paris et en région, notamment à Asnières.

Quand?
L’action se déroule de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
« Tout allait bien avec mon mari, jusqu’au jour où le boucher m’a complimentée pour ce qu’il avait surpris la veille : notre baiser passionné sous une porte cochère, avec ma jupe fendue. Sauf que je n’avais aucun souvenir de porte cochère, et que je suis toujours en pantalon.
Ma vie de couple a basculé, ce jeudi-là, tandis que je nous achetais du boudin. Mais cette femme qui n’était pas moi allait me permettre de découvrir enfin qui je suis. D’explorer, avec une jubilation croissante, la face cachée de la gentille fille indolore qu’avaient fabriquée ma mère, mon conjoint, les convenances et les blessures d’enfance… »

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
France Bleu (Le livre coup de cœur de Valérie Rollmann)

Les premières pages du livre
En tant que fleuristes, c’est rarement le dimanche que nous faisons l’amour. Comme dit mon mari, le plaisir du lundi, c’est sacré. Sauf que, depuis trois semaines, il semble avoir changé d’avis.
Pourtant, le jour de notre mariage, l’adjoint au maire avait fait un si beau lapsus: «Pour le meilleur et pour le rire.» Cela présageait un avenir radieux, en nous évitant le pire. Mais lorsque le pire est arrivé, je n’ai pas ri du tout. Pour moi, le pire représentait la maladie, la mort, mais j’étais loin d’imaginer que cela concernait aussi le cul.
*
Comment réagir en apprenant que son mari a une liaison? Faire un éclat ou faire comme si?
J’ai tenté d’analyser la situation en dépit des sanglots qui m’arrachaient le cœur. À part l’amour et le quotidien qui nous unit, du lit au magasin, il n’y a jamais rien eu entre nous. Je veux dire: ni ombre, ni conflit, ni jalousie, ni lassitude – enfin, je croyais. Je n’ai jamais fait attention à un autre homme depuis que je lui ai dit oui, et de son côté je n’avais jamais surpris de regard mal placé en direction d’une cliente. C’est vrai que de nouvelles fesses, petites ou grosses, qui frétillent ou prennent des poses, ça peut créer de la tentation, un besoin de dépaysement. Mais de là à passer à l’action… Dans le quartier, en plus.
Je suis une femme trompée ou pas? me demandais-je dans la glace.
Mon reflet ne me répondait rien. Être ou ne pas être, dans mon cas, c’était plutôt dire ou ne pas dire. Affronter des journées entières le déni, le mensonge par omission, ou l’attente de l’aveu assorti de ces mots qui soi-disant vous remettent d’aplomb («Je n’aime que toi»), tout ça me paraissait insurmontable. Pourtant je suis restée coite. Mais mon imagination ne se taisait pas. En regardant Arthur, je le voyais très nettement, debout contre le mur, ululer pendant qu’une inconnue lui faisait une fellation. Et ça, ce n’était pas très agréable. Ce qui m’a le plus étonnée, cela dit, c’est qu’il continuait à me faire l’amour en gémissant toujours de la même manière. Mais était-ce à moi qu’il faisait l’amour? Incapable de lui poser la question, je sentais «l’autre» en surimpression, et j’éprouvais des sensations nouvelles qui n’étaient pas toutes déplaisantes – c’est ce que je vivais le moins bien.
Pourquoi n’ai-je rien dit? Parce que dans la vie, les seules choses que j’aime, c’est entendre le bruit de sa clé pénétrer dans la serrure de notre appartement, écouter sa voix me dire «C’est moi, mon amour», et sentir ses lèvres m’embrasser comme si c’était la première fois. Avec souvent un petit bouquet du jour, quelques roses prêtes à se faner: les invendues de la boutique. Même si je dois me contenter des laissées-pour-compte, cela fait plaisir. Je pense que j’ai un mari parfait, malgré son écart de conduite.
Je l’ai appris tout à fait par hasard en allant chez le boucher. Ce jour-là, seul derrière son étal, il m’avait accueillie avec un sourire complice:
– Alors, dites donc, on se bécote le soir sous les portes cochères, comme des ados? J’aimerais bien que ma femme m’enlace comme ça après dix ans de mariage.
Je l’ai regardé, étonnée, n’ayant aucun souvenir de porte cochère.
– Avec la jupe fendue et le string, a-t-il précisé à voix basse. Il a de la chance, votre mari.
Il a pris mon silence pour de la pudeur, et il n’a pas insisté. J’ai tout de même réussi à demander un boudin blanc truffé, en plus du noir qu’il était en train de m’emballer. Je pensais qu’il s’abstiendrait de revenir à la charge, vu la réaction mortifiée que je ne parvenais pas à dissimuler sous mes efforts de diversion charcutière. Mais il n’a pu s’empêcher d’ajouter, en me rendant ma carte bancaire:
– Si vous pouviez en toucher un mot à ma femme…
– Pardon?
– Je lui en ai offert un pour Noël, et elle ne l’a jamais mis, elle dit que c’est vulgaire. Je pense que ça la ferait changer d’avis, venant d’une personne aussi classe que vous qui n’a pas peur de se contenter du string minimum…
Devant mon air ahuri, il a précisé en rougissant :
– Désolé, c’était de l’humour.
J’ai hoché la tête. Jamais je n’ai porté de string. Jamais mon mari ne m’en a offert. Et je suis toujours en pantalon.
– Hé ! Vous oubliez vos boudins!
En me les tendant, il m’a fait un clin d’œil assorti d’une moue rassurante, genre «ça restera entre nous».
*
J’ai préparé le dîner, comme d’habitude, mais le cœur n’y était pas. Je me suis même remis du rose à joues avant qu’il rentre. Il m’a serrée dans ses bras, m’a dit tu as bonne mine mon amour, a pris une douche et nous sommes passés à table.
– C’est bon, ce mélange de boudins avec des pommes cuites. Tu as rajouté quelque chose, il me semble.
– Oui, du sucre roux au dernier moment.
– Ça doit être ça, ce côté caramélisé, presque chinois. Vraiment délicieux. Tu innoves, mon amour, c’est bien.
– J’essaie. Parfois on se lasse de manger toujours la même chose.
– Moi, je ne me lasse jamais.
J’ai hoché la tête avec un petit sourire, mais, en le regardant, je ne voyais que l’image d’une porte cochère où il enlaçait une femme. Et ce n’était pas moi.
Il m’a fait l’amour dans la foulée avec une énergie particulière, peut-être à cause des boudins caramélisés, et, pour la première fois, j’ai fait semblant de jouir. Juste pour qu’il ne soit pas inquiet ou soupçonneux. Pourquoi ai-je réagi ainsi ? À sept ans, j’avais assisté, malgré moi, à une scène horrible où ma mère criait sur mon père qui l’avait trompée, d’après une voisine. Il a juste pris son manteau gris et sa belle écharpe bleue que je lui avais offerte pour la fête des Pères en cassant ma tirelire, et il est parti. Tout simplement, sans un mot. On ne l’a jamais revu. Alors je me suis dit : « Quand on est grand, il ne faut pas crier, sinon tout le monde s’en va. » C’est resté gravé dans ma tête. Pour le meilleur et pour le pire.
*
Longtemps, je l’ai écouté ronfler. C’était inhabituel, mais il ne fallait pas non plus mettre ça sur le compte de sa liaison. En était-ce une, d’abord ? Ou juste un baiser sous une porte cochère qui n’avait débouché sur rien, à part l’enthousiasme avec lequel il m’avait complimentée pour mes boudins, histoire de se remettre en règle avec sa conscience.
Je me suis réveillée en sursaut, à trois heures du matin. Je venais de rêver de mes fesses que je contemplais dans la glace, mises en valeur par un string minimaliste autour duquel se promenaient des mains qui n’étaient pas celles de mon mari.
J’avais tellement honte que je suis allée prendre une douche. Ça ne l’a pas réveillé. J’ai bu un verre d’eau, et je me suis recouchée contre lui en me disant que, tout de même, ce n’était pas à moi de culpabiliser.

Extraits
« Le couple, c’était donc cela. Soudain, tout s’arrête. Et, malgré des tentatives inutiles de séduction, on se retrouve dans l’incompréhension, et on cherche vainement à quel moment on n’a pas fait ce qu’il fallait, et on se sent coupable. Coupable de ne pas avoir été à la hauteur pour tenir sur la durée, coupable de n’avoir pas ressenti l’imperceptible usure qui fait passer de l’habitude à l’indifférence. Coupable d’avoir cru que l’homme à qui on avait dit «Oui» était sur la même longueur d’onde: à l’abri de toutes les tentations, loin du paraître et du mensonge, bien au chaud dans la confiance, la connivence, la sérénité. » p. 41

« Venez, on va faire quelques pas au bord de la Seine, il fait beau, ça vous fera du bien. Vous êtes si pâle.
J’ai hoché la tête, nous avons traversé le quai de Grenelle et nous avons rejoint l’allée des Cygnes, juste en dessous de la statue de la Liberté. Je commençais à me détendre. Se promener à deux, sans but, ce qui m’arrive rarement avec mon mari, était très agréable, j’en avais presque oublié la Mucha pendant quelques minutes. Et même ce coup de vent impromptu qui a soulevé ma jupe m’a fait rire, quand je l’ai rabaissée de justesse.
Vincent s’est retourné vers moi :
– Vous avez l’air d’aller mieux.
– Oui. Merci de votre patience.
Avec le temps, on finit par obtenir ce qu’on attend.
– Encore faut-il savoir ce qu’on veut.
Il n’a pas répondu. On a fait le tour de la petite île, au rythme des pipis de Charly, et on est revenus devant le centre commercial de Beaugrenelle, en échangeant des platitudes sur les pistes cyclables désertes qui augmentaient la pollution en multipliant les embouteillages. Au moment de se quitter, il s’est approché de mon visage, et, machinalement, je l’ai repoussé :
– Non, pas sur le front, s’il vous plaît. » p. 47

À propos de l’auteur
La face cachée de LilyFrançoise Dorner © Photo Denis Félix

Françoise Dorner, prix Goncourt du premier roman, prix Roger-Nimier, prix du Théâtre de l’Académie française, nous offre le portrait irrésistible et poignant d’une jeune femme étouffée qui, à la faveur d’une trahison, reprend le contrôle sur sa vie, son couple et ses désirs. (Source: Éditions Albin Michel)

Page Wikipédia de l’auteur

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