Grady Hendrix est un auteur, journaliste, orateur et scénariste américain. Il vit à Manhattan et a été l'un des fondateurs du Festival du film asiatique de New York. Détruire tous les monstres, son nouveau roman, vient de paraître.
Kris, proche de la cinquantaine, réceptionniste d’un hôtel minable dans un petit bled de l’Amérique profonde, vit assez misérablement. Pourtant, il y a plusieurs années, elle a failli connaître la gloire en tant que guitariste et leader avec son groupe de rock mais Terry, le chanteur, a tout fait foiré. Pire, après la dissolution du groupe, il est devenu une rock-star en piquant tous les droits sur les chansons de Kis. Quand Terry fait de nouveau la une des médias à la veille de sa méga tournée, pour Kis c’en est trop, elle va lui faire rendre gorge et payer son dû…
Je ne sais pas très bien pourquoi j’ai ouvert ce roman et le début m’a fait craindre le pire, pourtant une fois terminé, même si ce n’est pas de la grande littérature et qu’il reste dispensable, ce bouquin recèle beaucoup de bonnes choses. Thriller et horreur dans le monde des hard-rockers et du heavy metal, Welcome to The Magical Mystery Tour, mais n’oubliez pas vos boules Quiès !
Pour en finir avec le pitch, il s’agit d’une version très moderne et approximative du mythe de Faust. Ici, Terry a fait un marché avec le Démon, à lui la gloire et les richesses, en échange il offre au Diable les âmes de tous ses fans. C’est là que réside l’horreur mais, amateurs du genre, sachez qu’elle reste assez discrète dans le récit, plutôt une ombre ou une épée de Damoclès au-dessus de la tête des protagonistes. Le thriller lui est bien plus réel. Kis va d’abord tenter de retrouver ses anciens partenaires et quand le premier va se faire abattre avec sa famille sous ses yeux, la cavalcade infernale va se mettre en branle…
Les bons points du livre sont nombreux. Les metalleux amateurs de Black Sabbath, Behemot ou Slayer vont se régaler et les autres, s’ils ont cette curiosité, accepterons cette immersion dans ce monde aux codes et références mystérieuses et sataniques. Tout ce qui a trait à la musique, technique instrumentale et ressenti des musiciens est excellemment décrit. Deux longs et très bons moments, la fuite de Kris échappée d’une clinique où elle avait été retenue prisonnière, par des souterrains et des boyaux très étroits avec cafards et scolopendres, claustrophobes retenez votre souffle.
Et puis il y a l’apothéose finale qui donne tout son relief à ce livre : un méga festival rock dans le désert proche de Las Vegas où Kris, parvenue au prix de milles embûches à accéder à la scène devant des milliers de spectateurs, va défier Terry sous les projecteurs et les Démons dans l’ombre, guitare à la main. Sa musique plus forte que tout, neutralisant le Mal et offrant la rédemption à son esclave. Croyez-en mon expérience des concerts, à lire cet épilogue vous sentirez les vibrations monstrueuses de la foule et vos oreilles vont tinter longtemps après avoir terminé votre lecture.
Un bouquin dispensable pour certains, oui. Un début banal, peut-être. Mais quand le roman trouve son rythme on ne le lâche plus et ce final grandiose fait de bruit et de fureur, les potards à fond, la sono qui explose, la sueur et les transes…
Roman sur l’intégrité artistique et ceux qui n’hésitent pas à vendre leur âme au diable (métaphore ou non) au sein d’une communauté musicale très particulière, avec son esthétisme, ses chapelles et ses rites. Si vous n’êtes pas des familiers, c’est l’occasion de faire connaissance.
« Ils contrôlent tout, ils nous affament, ils nous maintiennent en état de souffrance, ils font en sorte que nous restions distraits. Tu as remarqué comme ce monde est devenu sans âme ? Comme il est devenu vide et préfabriqué ? Les vies sans âme sont creuses. Nous remplissons la terre de villes sans âme, nous nous polluons nous-mêmes avec des albums sans âme. Lorsque l’âme est retirée, elle laisse un trou, et nous essayons de remplir ce trou avec tout un tas de choses – Internet, les théories conspirationnistes, CNN, les drogues, la bouffe, mais il n’y a une chose à l’intérieur de ce trou, Kris, et c’est Black Iron Mountain. C’est notre geôlier et c’est notre geôle : une faim éternelle, insensée, qui ne peut jamais être comblée, une plaie qui ne peut jamais guérir, un désir artificiel de consommer. Notre faim nous enferme dans une prison grande comme le monde. Il n’y a pas d’échappatoire. »
Grady Hendrix Détruire tous les monstres Sonatine – 360 pages –
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Héloïse Esquié