Les premières phrases ... avant de lire ma chronique dans quelques temps.
- Bon, dis-moi, tu as rencontré quelqu'un de bien ?
Ça fait deux ans que ma mère me pose cette question quand je lui téléphone.
Depuis ma rupture avec mon dernier petit ami sérieux, Tomas Segura, un ingénieur ferroviaire - mi-espagnol, mi-homme-enfant, mufle sur les bords, auquel je fais désormais allusion sous le sobriquet affectueux de Tomas la Baltringue -, elle est terrifiée à l'idée que moi, Emily Carson, je puisse être la seule de ses trois imbéciles d'enfants à ne jamais me marier. À ses yeux, le mariage, c'est tout. La famille, c'est tout. Le célibat n'est pas une option, surtout pas pour une prof d'anglais de trente-huit ans sans enfant, qui devrait sérieusement envisager de faire congeler ses ovules avant qu'ils ne finissent par se ratatiner et mourir - ce sont ses mots, pas les miens, et elle s'acharne à les répéter au cas où je n'aurais pas saisi les mille premières fois.- Enfin, sérieusement, Emily. Tu ne crois pas que deux ans de célibat, c'est assez long comme ça ? Un jour, tu te réveilleras et tu regretteras d'avoir fait la fine bouche. Tu ne rajeunis pas. Quand j'avais ton âge, tu avais déjà dix-huit ans et j'avais des jumeaux de huit ans !
- Maman, faut-il vraiment qu'on ait encore cette conversation ? Je ne suis pas toi, je suis une personne complètement différente.
En soupirant, je me demande pourquoi je me fais endurer ça, mais je connais déjà la réponse : parce que c'est dimanche.
Le dimanche à 18 heures est le moment où j'autorise son discours moralisateur à parcourir la distance qui sépare le comté des Scottish Borders de mon appartement à Londres ; enfin, sauf quand j'oublie de l'appeler, auquel cas elle me harcèle jusqu'à ce que je décroche pour me demander si je suis morte. Morte ou toujours célibataire ? De son point de vue, les deux cas sont aussi catastrophiques l'un que l'autre.
D'habitude, ma réponse type - " Non, maman, je n'ai rencontré personne " - est suivie d'un sinistre soupir de déception, ou d'un coup de gueule me rappelant que mon frère, Patrick, a réussi à se trouver une fille charmante, en dépit du fait qu'il soit cruellement dénué de charisme. - Seigneur Dieu, il n'arrive même pas à manger la bouche fermée, et lui s'est marié. Quant à ta sœur, elle ne sait même pas écrire son propre nom, pourtant, elle y est parvenue !
Cette femme me rend dingue à un point tel que, même si j'ai commencé cette conversation dans ma chambre, je me retrouve comme par magie dans ma salle de bains, face à mon reflet exaspéré dans le miroir. Je remarque un cheveu gris au milieu de mes cheveux bruns tressés et l'arrache en vitesse, avant que ma mère ne passe sa main décharnée dans le combiné pour le faire à ma place.
- Bon sang, maman, grommelé-je, en changeant le téléphone d'oreille pour inspecter le reste de ma chevelure, est-ce que tu aimes tes enfants ? Iona est dyslexique, pas débile - bien sûr qu'elle sait écrire son nom, elle est avocate... Je vois ce que tu veux dire pour Patrick, cependant, autant s'asseoir en face d'un lama. On ne croirait jamais que ces deux-là sont jumeaux, tant ils sont différents. En tout cas, pour répondre à ta question, j'ai une nouvelle à t'annoncer et...
- Tout ce que je dis, c'est qu'il existe quelqu'un pour tout le monde et... Super, maintenant elle va m'expliquer ce que je dois faire.
- Ce qu'il faut que tu fasses...
- Maman, l'interromps-je brutalement, je sais ce que tu t'apprêtes à dire, mais j'essaie de t'annoncer que...
- Titre : Comment ne pas faire pitié à Noël quand on est célibataire (14 novembre 2018)
- Auteur : Joanna BOLOURI
- Éditeur : Milady Editions
- Nombre de pages (papier) : 447
Ce rendez-vous hebdomadaire a été créé par Ma Lecturothèque. Il s'agit de présenter chaque semaine l'incipit (premières phrases) d'un roman. Il vous permet de découvrir en quelques lignes un style, un langage, un univers, une atmosphère.