« Spontanément j’aurais découpé le mois lunaire en 7 semaines de 4 jours. Bien sûr et le 4e jour il se reposa, ça fait flemmard. Alors 2 fois 14. Et le 14e jour il se reposa, c’est mieux mais j’en connais qui ne seraient pas contents. » (p. 9)
Ce livre vient de loin : certains chapitres sont datés de 2004. Le Sens du calendrier tourne et retourne le temps qui passe, après la catastrophe amoureuse, l’évaporation soudaine de l’être aimé. En 2018, dans À vous qui avant nous vivez, Nathalie Léger-Cresson décrivait les grottes des temps préhistoriques : en 2020, comme l’homme d’Ovide, elle tourne les yeux vers les astres, pour y compter une autre forme d’éternité : le calendrier.
En effet, le calendrier nourrit l’espoir d’un rapprochement avec le ciel. Dans l’avion qui rentre de Bogota, la narratrice observe sa voisine : « À un moment, elle a sorti d’un baluchon un cygne en porcelaine qui faisait coupe à bonbons. Elle le gardait depuis le baptême de sa fille. Qui aurait cru que ce cygne, moulé dans une usine andine trente ans plus tôt, devrait un jour traverser le monde pour échapper aux assassins ? C’est pourquoi il n’est pas impossible que mes lignes te parviennent un jour » (p. 18). Il faut dire aussi que le calendrier est une science rassurante, exacte. Contrairement à l’amour… « Je comprends les Chinois anciens et les Mayas antiques, c’est merveilleux ! Oui, merveilleux de se comprendre en étant si loin dans le temps, surtout que parfois nez à nez… » (p. 25). L’œuvre de Nathalie Léger-Cresson nous apprend que les abîmes du dehors sont les métaphores des abîmes intérieurs.
Dans ce livre, les jeux sur les mots, la typographie, la mise en page mettent à distance, mine de rien, la douleur, comme lorsque la narratrice réécrit la soirée de rupture en commençant avec les mots : « Par un beau matin…« , qui redevient aussitôt « Pars un beau matin ! » (p. 35). Il y a un côté Amélie Poulain dans la malice de l’autrice à varier la taille de ses caractères ou le registre de ses phrases pour surprendre, machiner ou amuser, comme lorsqu’elle écrit une lettre émue et lyrique à… son assureur (p. 78-79) ! Un lapin (quelque peu magique) réapparaît d’un chapitre à l’autre : la narratrice l’adopte, avant qu’un plombier décontenancé ne découvre qu’il bouche la canalisation de la douche (p. 54)…
L’ours, rappelle N. Léger-Cresson, reste à l’affût des journées entières devant le « trou de respiration » des poissons (p. 115) ; de même la narratrice, qui ne cesse de se réfugier dans les futilités, finit par céder. Elle croise un regard qui, dit-elle, « m’avait rappelé mon père » (p. 102). Le surgissement du père amène les souvenirs d’enfance, les lignes chronologiques, les calendriers imaginaires et fort peu mathématiques de nos premières années. C’est ici que le calendrier se brouille…
Que l’inique annulation du Marché de la Poésie 2020 ne vous empêche pas d’acheter et d’offrir à Noël ce roman sensible ! Les chapitres datés nous assurent qu’il a été écrit depuis 2004 et qu’il dort en quinze ans, et voilà que le confinement l’aura fait manquer à ses lecteurs légitimes.
Nathalie Léger-Cresson, Le Sens du calendrier, éditions des Femmes, 2020, 176 p., 15€.