Voilà, j'ai attendu des années pour lire un nouveau roman de Claire Keegan, frustrée dans mon attente et je ressors frustrée de ma lecture : c'était trop court !!!!!!! Oui, vous avez bien lu, moi qui râle (souvent) sur les pages inutiles, là limite je serais bien restée cent pages de plus avec Bill ce héros ordinaire, si reconnaissable dans son humanité, si puissant et si universel, si touchant dans sa lâcheté puis si fort dans sa certitude de faire bouger les lignes, si droit dans son parcours de vie : je me suis sentie lui ! ... même si je reconnais ne pas avoir sa force ni sa témérité. Alors, oui, l'autrice a bien fait de s'arrêter là, pour éviter un épuisement, par paresse parce qu'il aurait fallu construire davantage l'après, parce que laisser le suspense et l'imagination du lecteur reste le plus simple et ne s'apparente pas à une vraie gageure. Mais quand même, je serais bien restée plus longtemps avec eux et elles !
Bill Furlong est un entrepreneur du bois et du charbon. Pendant l'hiver, son activité marche du tonnerre de feu (c'est le cas de le dire). À l'occasion d'un dépôt dans le couvent voisin, Bill va faire une rencontre qui va bouleverser sa vie et mettre en perspective son histoire familiale.
Je vais tâcher de ne rien dévoiler de cette histoire pour vous laisser le suspense complet, parce que vous avez bien lu : ce livre se lit vite, il ne s'agit donc pas de tout vous dire en trois lignes.
Pour avoir lu tout ce qui a été publié en français de Claire Keegan, Ce genre de petites choses est son roman le plus politique. L'autrice ne prend aucun risque : l'affaire a été dévoilée, entendue depuis trente ans, mais la fiction a l'avantage de dire et redire ce qui pourrait être vite oublié (et en ces temps de zapping permanent et de réseaux sociaux de folie où une super news laisse la place deux secondes après à une autre super news). Cette histoire est une réussite, émouvante parce qu'en si peu de mots, Claire Keegan atteint nos cœurs, présente un homme installé qui s'est construit tout seul, qui a eu la chance d'être entouré enfant de personnes aimantes et attentives, même si son acte de naissance ne l'a pas épargné des moqueries et des jurons ; un homme donc droit et de foi, qui interroge et s'interroge, un homme qui bouscule et qui couve une révolte salutaire.
J'ai absolument tout aimé dans Ce genre de petites choses. Avec Claire Keegan, je suis bien, je me sens chez moi ; avec Claire Keegan, je sais que je vais passer un moment fantastique de lecture, je vais rentrer dans un univers, dans une histoire. Tout est savamment installé, précis. Chaque scène est construite et participe au récit, les conversations induisent les rapports humains et les pans de la société. Un refuge dit tout du caractère démuni et de l’aliénation ; une balade celle d'une résurrection. Ce qui est remarquable avec cette autrice et dans ce court roman, c'est qu'au détour d'une scène, d'une conversation elle raconte tout, elle dit tout de nos sociétés, elle explique comment certains actes odieux connus de tous peuvent persister, comment certaines situations proches de la corruption d'état peuvent continuer à survivre, tout simplement parce que défaire ces systèmes c'est prendre le risque de s'attirer la foudre et de subir des représailles soit directement soit par l'intermédiaire de son cocon familial qu'on a difficilement construit, parce que ces systèmes ne persistent que par le silence, la peur, la compromission et la lâcheté du plus grand nombre, parce qu'hurler parfois ne sert pas.
Ce genre de petites choses est un roman magistral, un bonbon sucré que j'ai savouré et que je vais garder longtemps en mémoire et que je vous encourage à découvrir... en particulier à Noël (c'est de saison !)
Éditions Sabine Wespieser
Traduction de Jacqueline Odin
Sortie Novembre 2020 - autour de 110 pages (une misère)
Un grand merci à Jostein qui m'a rappelé la sortie de ce roman.
autres avis : Jostein, Cathulu, Mimipinson,
De l'autrice
À travers les champs bleus
L'antarctique
Les trois lumières