Editeur : Homme sans nom
Nombre de pages : 279
Résumé : Vingt ans après avoir quitté son village natal, vingt ans après avoir essayé de trouver - en vain - la princesse au visage de nuit pour qu’elle le sauve de ses parents, Hugo revient sur les traces de son enfance. Un étrange accident de voiture, l’orage qui gronde sans cesse, des noms d’enfants dans le vent, une mystérieuse présence dans les bois et les lucioles qui volettent, toujours. Comme avant, au temps de la princesse au visage de nuit.Devenu adulte, Hugo ira-t-il jusqu’à la trouver ?
Un grand merci aux éditions de l’Homme sans nom pour l’envoi de ce volume.
- Un petit extrait -- Mon avis sur le livre -« Il se souvient, maintenant. La tristesse de Sophie, la détresse de Pierre, les jeux dans les champs, près de la rivière, leurs rires le soir alors que la nuit tombait et menaçait de les engloutir. Il se rappelle les promesses d'enfant, le serment dans la clairière, la course dans les bois, les lucioles autour d'eux, la grotte immense et l'ombre plus grande encore ; la magie qui devait les protéger puisque rien d’autre, rien d’autre ne le pouvait. »
Cela peut sembler parfaitement ridicule, mais je n’ai commencé à me sentir véritablement chez moi dans notre nouvelle maison qu’à partir du moment où le nouveau facteur s’est mis à m’apporter des livres en abondance : c’était le signal que la vie reprenait son cours habituel, que tout redevenait comme avant … Ou presque. Car force est de reconnaitre que le bouleversement des routines quotidiennes a eu une terrible conséquence : c’est comme si tous les moments propices à la lecture s’étaient volatilisés, et je lis beaucoup moins qu’avant. Il m’a donc fallu négocier avec mes yeux si fatigués pour leur faire comprendre qu’ils devaient impérativement tenir quelques heures de plus chaque jour pour me permettre de lire un peu en soirée, avant d’aller me coucher, car c’est le seul créneau vraiment libre qu’il me reste. Et même si ça me demande une concentration à toutes épreuves – qui dit « fatigue oculaire » dit aussi « dédoublement des lignes » –, c’est indéniablement mon moment préféré de la journée !
Cela fait maintenant plus de vingt ans qu’Hugo n’a pas remis les pieds dans son village natal. Vingt ans qu’il s’efforce de tourner la page, d’effacer ce qui lui reste de souvenirs. Vingt ans qu’il tente désespérément de vivre, ou plutôt de survivre à cette enfance dévastée. Vingt ans plus tard, l’enfant du pays est de retour pour enterrer ses ivrognes de parents, dont la mort ne serait parait-il pas tout à fait accidentelle … Et tandis que le solstice approche à grands pas, tandis que l’orage gronde soir après soir, tandis que l’enquête suit son cours sinueux, voici que d’étranges événements volettent autour du jeune homme, aussi sûrement que ces nuées de lucioles qui dansent dans la nuit. Des prénoms murmurés dans le vent, des jouets perdus qui ressurgissent, des fantômes qui hantent le bois. Le bois. Ce fameux bois de la princesse au visage de nuit. La princesse. Cette princesse au visage de nuit que ses deux amis et lui étaient venus chercher en pleine nuit de solstice, il y a vingt ans de cela. La nuit. Cette nuit où sa vie toute entière a basculé et dont il ne garde aucun souvenir. Seulement un vide, un manque, une absence : celle de ces deux enfants qui ont disparus sans laisser de traces alors qu’il a survécu.
Le communiqué de presse me promettait un « conte moderne, intense et poignant, entre enquête et fantastique, légendes mystérieuses et réalités crues » …. Et une chose est sûre et certaines : ces promesses ne sont pas seulement tenues, mais surpassées. Après un prologue bref mais puissant commence un compte à rebours haletant : le solstice d’été approche, vingtième anniversaire d’un drame qui ébranla à jamais la vie de ce petit village, et surtout celle d’Hugo que nous rencontrons donc dans le cimetière où ses parents vont être inhumés. On le sent : le jeune homme n’a aucune envie d’être là, dans ce lieu qui fait ressurgie tant de souvenirs, des doux comme des durs, des bons comme des mauvais. Surtout des mauvais. Il donnerait n’importe quoi pour être ailleurs, pour rejoindre ses amis parisiens dans un bar, pour retrouver le foyer où il accompagne des ados aussi cabossés par la vie que lui. Pour laisser une bonne fois pour toute le passé derrière lui. Mais ce passé le rattrape un peu plus à chaque instant, tout en s’obstinant à lui échapper par moment. Deux mystères s’entremêlent délicatement dans ce récit : celui qui entoure la mort de ses parents, et celui qui entoure cette fameuse nuit d’il y a vingt ans. Deux enquêtes parallèles qui, on le sent bien, vont finir par s’entrecouper.
En quelques pages à peine, l’auteur nous plonge dans une ambiance vraiment très particulière, à la fois pesante et aérienne. On y retrouve les amitiés et les blessures enfantines, ces moments d’insouciance et ces instants de souffrances. On y retrouve l’atmosphère feutrée des petits villages où tout se sait mais rien ne se dit, où les secrets s’enfouissent profondément pour mieux ressurgir quand on s’y attend le moins. Et surtout, ainsi que l’espérait l’auteur, c’est un roman qui « parle à l’enfant en chacun de nous » : quel enfant n’a jamais cru au plus profond de son être que telle maison était hantée, que telle forêt cachait dans ses entrailles des légendes accessibles seulement aux plus petits ? Dans ce roman, réalisme et fantastique se mélangent habilement pour ne former plus qu’un : on ne sait plus où s’arrête l’un et où commence l’autre. Les enfants voient ce que les adultes ne voient plus, trop englués qu’ils sont dans leur rationalité qui éclipse tout l’inexplicable de la vie … Pourquoi Hugo a-t-il survécu alors que ses amis ont disparu ? Comment grandir avec cette culpabilité latente et cette douleur lancinante, avec ces rêves avortés et ces espoirs brisés ? « Tu vas t’en sortir. Il faut juste que tu grandisses », voici la promesse qu’Hugo fait à son enfant intérieur, cet enfant qu’il a tenté d’oublier mais qu’il doit retrouver pour pouvoir avancer dans la vie, libéré de ce poids qui l’entrave.
Et c’est donc cette combinaison de ces trois sous-intrigues – enquête policière, manifestations fantastiques et quête initiatique – qui rend ce roman particulièrement palpitant et haletant malgré un rythme qui reste relativement lent et constant. On reste dans un récit quelque peu contemplatif, qui pourrait presque se rapprocher du thriller psychologique. L’auteur a vraiment su trouver ce si délicat équilibre entre action et émotion, entre noirceur et lueur d’espérance, entre mélancolie et douceur. C’est un roman qui évoque à demi-mot des réalités atrocement crues, des vérités horriblement cruelles, mais qui le fait avec tant de délicatesse que même le lectrice hypersensible que je suis n’en a pas été trop marquée … Il faut dire que David Bry a une plume exceptionnelle, qui ne plaira sans doute pas à tout le monde du fait de sa douce poésie, mais qui m’a personnellement beaucoup émue. C’est comme retomber en enfance et écouter les contes de fées que nous racontent nos parents : entre effroi et émerveillement, on est tiraillé entre cette envie insatiable de connaitre le fin mot de l’histoire et cette crainte de ce qui nous attend et de ce qui attend les personnages … Délicat équilibre, encore une fois.
En bref, vous l’aurez bien compris, ce fut vraiment une très belle lecture, toute en demi-teinte : un récit « doux-amer » comme le dit l’auteur lui-même dans le petit mot que j’ai reçu en même temps que le livre. C’est un roman qui fait revivre en nous l’enfant que nous étions, avec ses rêves mais aussi ses peurs, avec son insouciance mais aussi ses douleurs. Car on a tous en nous des blessures, plus ou moins visibles, plus ou moins grandes, avec lesquelles nous devons avancer coute que coute. Et nous avons tous en nous cette douce nostalgie de cette enfance où tout semblait à la fois si simple et si compliqué, mais où tout pouvait s’expliquer par ce que les adultes appellent avec mépris « l’imaginaire ». Contrairement à d’autres romans qui s’efforcent de tenir le lecteur en haleine par une déferlante de rebondissements et d’actions, c’est un récit qui joue plutôt sur les sentiments et les émotions pour mieux pour happer. Comme c’est souvent le cas avec les éditions de l’Homme sans Nom, c’est un ouvrage à la croisée des genres, un ouvrage atypique qui se joue des frontières pour mieux nous captiver. C’est un roman qui ne plaira sans doute pas à tout le monde, j’en conviens, mais que je conseille tout de même à tout le monde, car il est vraiment très beau et il a beaucoup de choses à dire. A nous dire.