Danseur d’herbe
Susan Power
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Danièle et Pierre Bondil
Albin Michel
1995
373 pages
Pourquoi ai-je lu Danseur d’herbe ?
Et bien parce que pas moins de trois blogueuses (Electra, Marie-Claude, et Ingannmic) avec qui je partage un goût certain pour la littérature amérindienne ont présenté ce roman avec tant d’enthousiasme que j’ai tout fait pour le trouver (je crois qu’il n’est plus édité) et ma persévérance a été récompensée puisque je l’ai déniché sur un site de livres d’occasion.
Et donc ?
Les Sioux, vous connaissez ? Oui, bien sûr, ceux qu’on voit dans les vieux westerns et qui scalpent les « gentils » cow-boys, mais les vrais, ceux qui vivent dans les réserves que les Blancs ont bien voulu leur octroyer, ceux qui oscillent entre modernité et tradition, vous les connaissez ? Bah non, évidemment. Et bien moi non plus, je ne savais pas grand-chose à leur propos.
Le roman commence sur un pow-wow et ça tombait bien je savais ce que c’était depuis que j’avais lu Ici n’est plus ici de Tommy Orange. Harley Wind Soldier est un jeune Sioux, il se prépare pour danser la danse de l’Herbe, suivi de près par son chien Chuck Norris (un personnage canin extraordinaire qui m’a bien fait rire) et sous les yeux de Charlene, la petite-fille de Mercury. Le décor est posé. On peut ajouter au tableau Pumpkin, la seule jeune fille à danser mieux que les hommes et à pouvoir prendre tendrement Chuck dans ses bras (celui-là même qui pisse sur le sac de Charlene).
C’est un livre construit à rebours, on démarre en 1981, et peu à peu on remonte dans le temps jusqu’en 1864 pour revenir enfin en 1981 et 1982. De personnage en personnage, de génération en génération, on comprend les secrets des uns et des autres, on navigue entre merveilleux, surnaturel et réalité. Les esprits des ancêtres hantent les personnages, les lieux, et empêchent tout un chacun de se laisser embrigader par la religion chrétienne.
J’avoue que j’ai été obligée de revenir en arrière plusieurs fois parce que les liens entre tous les personnages m’avaient parfois échappé. Lecture inattentive ? Vieillissement prématuré et perte de mémoire ? Que sais-je ? Parfois je me disais bien que j’avais déjà croisé tel ou tel nom mais je devais m’en assurer, et j’ai ainsi pu comprendre des choses qui, sans cette gymnastique digitale (tourner les pages et relire des passages entiers) seraient complètement passées à la trappe.
Pour conclure, j’ai beaucoup aimé ce texte, qui se mérite, à travers la galerie de portraits tous plus originaux les uns que les autres. La figure féminine est parfaitement représentée, à travers toutes les générations, certaines sont particulièrement émouvantes comme celle de Lydia Wind Soldier qui ne parle plus depuis la mort de son mari et de son neveu mais qui s’exprime en chantant « l’amour et l’abandon, chaque note était un cri qui tourbillonnait dans les airs ». D’autres sont plus effrayantes comme celle de Mercury qui jette des sorts aux jeunes hommes afin de les attirer dans son lit, malgré son âge et sa mobilité réduite. Et la fameuse Red Dress qui se faisait passer pour la chrétienne et qui cent ans après est « indissolublement liée aux vivants, toujours touchée par leurs angoisses. » Elle est la mémoire d’un peuple, d’un peuple que les Blancs ont essayé de spolier, de dépouiller de ses pratiques ancestrales, au profit de quoi ? D’un Dieu pas moins irrationnel…
Susan Power est une jeune Sioux originaire d’une réserve du Dakota du Nord, elle n’a publié à ce jour que ce roman, pour lequel elle a puisé dans l’histoire de ses ancêtres. C’est une belle réussite.