Pacific Palace (Christian Durieux – Editions Dupuis)
On a parfois tendance à l’oublier, mais Spirou a démarré sa carrière comme groom dans un hôtel. C’est ce qui explique son uniforme rouge si particulier ainsi que son éternel calot sur la tête, qui lui permettent rarement de passer inaperçu. Entre deux aventures autour du monde, Spirou revient de temps à autre à son métier de groom. Notamment au Pacific Palace, un prestigieux hôtel de luxe situé dans un cadre de rêve, au bord d’un lac. Une fois n’est pas coutume, Spirou a même réussi à faire engager son copain Fantasio, qui vient de perdre son travail de journaliste suite à la faillite du journal « Le Moustique », dans l’équipe du Pacific Palace. Mais le distingué Monsieur Paul, qui dirige le personnel de l’hôtel, n’est pas vraiment convaincu par les qualités de groom de Fantasio, qui est loin de faire de son mieux pour servir les clients. Le comparse de Spirou voit surtout dans ce job temporaire une opportunité unique de rassembler de la matière pour l’article d’investigation qui doit lui permettre de faire son grand retour parmi « l’élite du grand reportage ». Les circonstances vont lui être favorables, car un invité de haut rang s’apprête à débarquer au Pacific Palace. Tout l’hôtel a d’ailleurs été vidé de ses clients pour l’accueillir, histoire de garantir sa sécurité… L’invité de marque en question s’appelle Iliex Korda. C’est le président du Karajan, un petit pays des Balkans. C’est aussi et surtout un tyran, que l’on surnomme « le boucher » et qui vient d’être renversé par un coup d’Etat. Il vient donc chercher refuge en France, un pays qui a toujours entretenu des liens commerciaux intenses avec le Karajan, « en fermant les yeux et en se bouchant le nez », dixit Monsieur Paul. Iliex Korda, qui fait penser à l’ancien dictateur roumain Nicolae Ceausescu, espère clairement pouvoir jouir d’une retraite tranquille sur la Côte d’Azur, malgré tout le sang qu’il a sur les mains. Autant dire que Spirou et Fantasio sont loin d’être ravis de devoir servir un client aussi peu recommandable… jusqu’à ce qu’ils découvrent que Korda est venu au Pacific Palace avec sa fille Elena, une jeune fille au regard vert particulièrement envoûtant. Dès qu’il la voit, Spirou tombe instantanément amoureux. Un véritable coup de foudre de cinéma! Mais peut-on aimer la fille d’un dictateur quand on est un simple groom?
Depuis plusieurs années maintenant, le personnage de Spirou a été revisité par des auteurs venant d’univers et d’horizons extrêmement variés dans le cadre de la collection « Le Spirou de… ». Avec à la clé des résultats très différents et, il faut bien le dire, plus ou moins réussis. Une chose est sûre: l’univers de Spirou et Fantasio se prête à merveille à de multiples interprétations, chaque auteur ayant la totale liberté de le réinventer à sa façon. C’est le cas de Christian Durieux dans « Pacific Palace », qui est une nouvelle fois un « Spirou de… » qui ne ressemble à aucun autre. Cette fois, le célèbre groom est le personnage principal d’une sorte de huis clos intimiste, dont toute l’action se déroule dans un hôtel de luxe vidé de ses clients pour accueillir le dictateur Iliex Korda. Ce décor étonnant a manifestement beaucoup inspiré Christian Durieux: son « Pacific Palace » est un Spirou très original, qui nous plonge dans une ambiance irréelle et hors du temps, en particulier dans les planches où Spirou et Elena se retrouvent près de la piscine durant la nuit. Ces planches teintées de bleu, à l’image de la couverture de l’album, sont des pages particulièrement réussies, qui vont sans doute marquer durablement les esprits de tous les lecteurs romantiques dans l’âme. Leur effet est encore plus fort si on les admire en écoutant « Blue Night », l’une des chansons composées spécialement pour « Pacific Palace » par le groupe français Cocoon. En réalité, cela fait très longtemps que Christian Durieux, que l’on connaît notamment pour ses formidables séries « Les gens honnêtes » et « Geisha ou le jeu du shamisen », avait en tête cette histoire. A priori, on pourrait se dire que c’est une drôle d’idée de mélanger un récit politique sur un dictateur en fuite qui vient chercher refuge en France avec une histoire d’amour impossible, mais ça fonctionne à merveille. Il y a énormément d’émotion et de nostalgie dans cet album. Quant aux dessins, qui sont d’une grande finesse, ils naviguent en permanence entre l’imaginaire et le réel. N’hésitez donc pas à pousser les portes du « Pacific Palace », le séjour en vaut la peine!