Retour chez Panini, avec le bel album complet de la maxi série de Tom King, qui a su plaire au plus grand nombre, et donc concilier œcuménisme et exigence artistique réelle. Vite, on s'y replonge.
La Vision n'est pas fait(e) de chair et de sang. Ce n'est pas non plus une simple créature mécanique, plutôt un synthézoïde, c'est à dire un androïde doté de circuits cybernétiques si complexes qu'il semble être aussi humain que vous et moi, en certaines occasions. D'ailleurs au long de sa carrière, la Vision a connu l'amour et le mariage avec Wanda Maximoff, puis est devenu père de deux enfants. Hélas, les choses ont vite dégénéré (il serait trop long de tout vous expliquer ici, et on l'a fait lundi dernier) et le voici à nouveau sur le chemin de la maîtrise totale des émotions, à travers une expérience paradoxale : s'installer dans une petite bourgade paisible de Virginie, pour y vivre avec sa famille. Car oui, l'Avenger est désormais en couple, avec deux nouveaux jumeaux pour progéniture. Tous les quatre sont des synthézoïdes, les deux petits des croisements des schémas cérébraux de papa/maman, encore en développement, comme de vrais adolescents. Un mystérieux narrateur annonce d'emblée l'arrivée de personnages sur la scène, et leur mort tragique dans les flammes, alors que l'ambiance paisible et caricaturale de la petite maisonnette, avec jardin et american way of life rassurante, s'oppose totalement à la prophétie énoncée, celle de la fin des Avengers et même de notre monde, au terme de cette aventure! La Vision a sauvé la planète environ 37 fois, comme cela sera énuméré dans un épisode, mais pourra t-il sauver sa propre famille, Virginia, Viv et Vin, lorsque les événements tragiques vont commencer à se succéder, comme un terrible effet domino? Tout commence alors que le Moissonneur rend visite à l'épouse synthézoïde et la menace, ainsi que ses enfants. Il s'agit là du frère de Simon Williams, dont les schémas cérébraux ont été employés pour bâtir la personnalité de Vision. Le vilain ressent une haine viscérale, et souhaite faire disparaître ces aberrations de la nature, mais il n'est pas de taille, bien qu'en mesure de produire des dégâts notables, comme envoyer la petite Viv sur la touche, en salle de réparation intense. Illusions, incertitudes, logique et illogisme, c'est autour de ces concepts que la vie quotidienne est rythmée au foyer, avec les discussions des époux synthétiques, et les micro-événements de tous les jours, de la visite de courtoisie entre voisins méfiants, à l'adaptation des "enfants" dans un milieu scolaire "hostile".
Une évidence s'impose : cet album ne ressemble en rien à aucune autre parution super-héroïque de ces dernières années. Ici la Vision est au centre d'un récit qui parle certes de meurtre, mais surtout des petits mensonges qui sont les fondations du bonheur, du besoin de cacher tout ou partie de la réalité pour ne pas souffrir, du sentiment d'aliénation que le quotidien des résidences pavillonnaires américaines finit par exercer sur ces familles, prises au piège de la recherche de la perfection apparente. C'est à dire proposer une image lisse et respectable pour l'extérieur, quitte à ce que lorsque la porte se ferme, les choses soient bien différentes au foyer. Tom King sépare subtilement la trame en trois pistes distinctes. Les errances de la femme de Vision, qui ne se contrôle pas et se laisse gagner par les émotions (même synthétiques) et doit en payer le prix, remords compris. Le mari super-héros, qui pour vivre pleinement cette nouvelle expérience opte pour des choix sans retours, et les enfants, qui se heurtent à une adolescence compliquée, où les interrogations restent la plupart du temps sans réponse précise. En prime, la référence littéraire constante dans cet album est le Marchand de Venise, de William Shakespeare, qui interroge le sens et l'existence du sentiment de vengeance, et de l'amour si absolu qu'il engendre forcément le sacrifice. Nous sautons allégrement des considérations philosophiques à la science-fiction chère à Isaac Asimov, tout en gardant le format et les automatismes d'un comic-book, et si je peux me permettre, d'un extraordinaire comic-book.
Si ce thriller fonctionne aussi bien, c'est grâce à Gabriel Hernandez Walta, dont le style épuré et immédiat cherche avant tout à capter l'essence des émotions sans surcharger ses planches, et les couleurs toujours pertinentes de Jordie Bellaire, qui assombrit le propos et parvient à miner la sécurité du foyer par le simple jeu des teintes choisies, qui évoluent au fil des pages. Indispensable, ça va sans dire.
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