Un peu moins d’un dizaine de textes de voyages, mais pas dans le sens traditionnel où les voyages vous font rêver ou frémir, l’auteur adopte une approche plus intellectuelle – néanmoins très abordable par tous – faite d’interrogations du genre « où allons-nous ? » et son corollaire « où n’allons-nous pas ? », sur le temps qui passe etc.
Ces récits sont sérieux pour certains, plein d’humour pour d’autres, les deux à la fois souvent. Les voyages vont nous mener à Pékin et la visite de la Cité interdite avec une jeune guide qui va faire battre le cœur de l’Anglais ; dans la ligne souriante encore, cette escapade au Nord de la Norvège où il fait un froid de gueux pour que sa femme puisse voir une aurore boréale. Là nous avons l’angle classique des récits de voyages.
Plus pointu, ce séjour en Polynésie pour le centenaire de la mort de Gauguin, ce qui nous vaut un portrait cocasse du peintre émoustillé par les vahinés : « Et tout en cherchant à comprendre ce qui se passait dans leur tête, il ne dédaignait pas de leur mettre la main dans la culotte, ce que les autres colons jugèrent d’un œil sévère et possiblement envieux. » Ca se complexifie avec des visites de lieux pour y admirer du land-art : Spiral Jetty (« Jetée en spirale ») est une œuvre de Land art réalisée par le sculpteur américain Robert Smithson au bord du Grand Lac Salé en avril 1970, ou encore The Lightning Field créée en 1977 par Walter De Maria et installée au Nouveau-Mexique, aux Etats-Unis.
Peut-être préférerez-vous visiter la maison de Theodor Adorno, le philosophe allemand, à Los Angeles. A moins que ce ne soient les Watts Towers dans cette même ville. Si tout l’ouvrage ne mégote pas avec les références culturelles littéraires, cinématographiques voire photographiques, ces deux récits font appel à ses profondes connaissances du jazz. Il y aborde entre autre, un point qui m’a particulièrement intéressé car commun à ma propre expérience (moi dans le registre du rock), comment des photos de pochettes d’albums de disques peuvent nous inciter à aller voir sur place ces lieux…
Le livre est très bien écrit, intelligent mais bourré de cet humour british impayable ; on suit Geoff Dyer avec curiosité, étonné par son regard original sur les choses et les lieux, son caractère « discutable » (souvent prêt à critiquer) ou même peu charitable (quand il abandonne un autostoppeur dans une station service et s’en félicite ! A sa décharge, il avait une excuse ( ?) et vous la découvrirez dans un texte limite angoissant, voir pour ceux qui connaissent « Riders On The Storm » des Doors).
Attentes contrariées et espoirs déçus, interrogations existentielles, tentatives pour comprendre ce qu’un lieu donné signifie et pourquoi nous nous y rendons, telles sont les grandes lignes de cet ouvrage original ne manquant pas d’intérêt.
« Il faisait jour quand l’avion décolla et nuit quand il atterrit, quelques heures plus tard, à Longyearbyen. Même si nous avions décollé à l’heure où nous avions atterri, il aurait déjà fait nuit à Longyearbyen. Nous aurions pu y atterrir à n’importe quel moment au cours des six semaines précédentes et il aurait toujours fait nuit noire, et il aurait fait tout aussi froid, plus froid que dans n’importe quel endroit où j’avais jamais mis les pieds, plus froid et plus noir que dans n’importe quel endroit où quiconque ayant pour deux sous de jugeote ne mettrait jamais les pieds. Nous venions tout juste de sortir de l’avion et nous dirigions vers le terminal quand Jessica exprima très exactement ce que j’étais en train de penser : « Pourquoi est-ce qu’on est venu dans ce trou du diable Vauvert ? » »
Traduit de l’anglais (Grande-Bretagne) par Pierre Demarty