Ne m’oublie pas (Alix Garin – Editions Le Lombard)
« Mamy a fugué. Rejoins-moi à la maison de retraite. » Alors qu’elle est en train de répéter une pièce de Diderot pour préparer le concours d’entrée à l’école nationale de théâtre, Clémence est interrompue par un SMS de sa maman. Sa grand-mère, qui souffre de la maladie d’Alzheimer, a une nouvelle fois fugué de sa résidence pour personnes âgées. Le scénario est toujours le même: la vieille dame est persuadée que son papa et sa maman sont toujours en vie et elle veut retourner le plus vite possible vers la maison de son enfance, histoire d’éviter que ses parents ne s’inquiètent pour elle… Lorsque Clémence et sa maman arrivent sur place, la responsable les prévient de manière plutôt brutale que ça ne peut plus durer. Si Marie-Louise continue à fuguer, il faudra la retirer de la maison de retraite pour la reprendre à domicile. Pour résoudre le problème, la responsable de la maison de retraite propose d’augmenter fortement la dose de calmants. « Un traitement chimique doux, calmant. Quelque chose qui l’apaisera, qui la détournera de son obsession de s’échapper », promet-elle. La maman de Clémence accepte avec résignation: elle est elle-même médecin et elle a trop de travail pour pouvoir s’occuper plus intensément de sa mère. Mais sa fille, par contre, n’est pas d’accord d’imposer ce traitement à sa mamy. Pour la jeune femme, il s’agit purement et simplement d’une camisole chimique. Lorsque Clémence revient voir sa grand-mère quelques jours plus tard, elle décide, sur un coup de tête, d’enlever la vieille dame et de l’embarquer dans sa voiture. Direction la côte, où la mamy de Clémence a passé son enfance, et où elle rêve de retrouver son papa et sa maman. C’est le début d’un road movie plutôt agité, avec un côté « Thelma et Louise » par moments, puisque la vieille dame et sa petite-fille ne tardent pas à avoir la police à leurs trousses. C’est aussi le début d’une échappée tendre et émouvante, durant laquelle Clémence va se souvenir de tous les bons moments passés avec sa mamy, tandis que sa grand-mère va parfois être consciente de son état et parfois complètement confuse, comme c’est souvent le cas pour les patients atteints de la maladie d’Alzheimer.
Attention coup de coeur: « Ne m’oublie pas » est l’une des toutes bonnes surprises de ce début d’année 2021. La réussite de cette BD est d’autant plus remarquable que ce récit très bien construit est la toute première bande dessinée d’Alix Garin, une jeune autrice belge de seulement 23 ans. Lauréate en 2017 du prix Jeunes Talents du festival « Quai des bulles » de Saint-Malo, la jeune femme confirme tous les espoirs placés en elle avec ce roman graphique plein de tendresse et d’humour. Il est vrai que la maladie d’Alzheimer est un sujet qu’elle connaît très bien. « Ne m’oublie pas » n’est pas une BD entièrement autobiographique, mais Alix Garin y a mis beaucoup d’elle-même, dans la mesure où elle a commencé à écrire cette histoire lorsque sa propre grand-mère, qui souffrait elle aussi d’Alzheimer, a été placée en maison de retraite. « Ma grand-mère était malade, mais je ne l’ai pas kidnappée, à mon grand regret », explique-t-elle. « Le fond s’inspire de faits réels et de mon expérience personnelle, mais la forme et le déroulement de l’histoire sont purement fictionnels. » En se concentrant sur le parcours individuel d’une personne qui perd petit à petit la mémoire, Alix Garin parvient à donner une voix et un visage à toutes ces femmes et tous ces hommes qui ont donné tant d’amour au cours de leur vie, mais dont les souvenirs, à un moment donné, s’effacent inexorablement, ce qui est souvent insoutenable pour leur entourage. Ce qui frappe surtout en lisant « Ne m’oublie pas », c’est sa sincérité, à l’image du style de dessin d’Alix Garin, qui est sans fioritures mais rempli d’émotion. Il ne faut pas non plus oublier le personnage de la maman de Clémence, qui est le troisième maillon essentiel dans cette histoire. « Clémence accomplit un grand pas en avant entre son adolescence et l’âge adulte », souligne Alix Garin. « Ces trois journée avec sa grand-mère, qui sont en quelque sorte trois jours de deuil, lui donnent aussi l’occasion d’enterrer la hache de guerre avec sa mère. » On l’aura compris: « Ne m’oublie pas » est une BD pleine d’humanité, qui parlera forcément à toutes les personnes qui sont confrontées à cette terrible maladie qu’est Alzheimer.