Editeur : Métailié
Nombre de pages : 130
Résumé : Antonio José Bolivar Proano est le seul à pouvoir chasser le félin tueur d'hommes. Il connaît la forêt amazonienne, il respecte les animaux qui la peuplent, il a vécu avec les Indiens Shuars et il accepte le duel avec le fauve. Mais Antonio José Bolivara a découvert sur le tard l'antidote au redoutable venin de la vieillesse : il sait lire, et il a une passion pour les romans qui parlent de l'amour, le vrai, celui qui fait souffrir.
- Un petit extrait -- Mon avis sur le livre -« Antonio José Bolivar ôta son dentier, le rangea dans son mouchoir et sans cesser de maudire le gringo, responsable de la tragédie, le maire, les chercheurs d’or, tous ceux qui souillaient la virginité de son Amazonie, il coupa une grosse branche d’un coup de machette, s’y appuya, et prit la direction d’El Idilio, de sa cabane et de ses romans qui parlaient d’amour avec des mots si beaux que, parfois, ils lui faisaient oublier la barbarie des hommes. »
Nous avons tant de livres à la maison que, parfois, je découvre par le plus grand des hasards et avec surprise leur existence … C’est ainsi que j’ai appris que nous possédions ce livre au moment de le mettre en carton, sans avoir la moindre idée de quand et comment il a bien pu atterrir dans cette étagère enfouie au fin fond du bureau. Une combinaison de facteurs – « tout nouveau tout beau », une consigne du loto littéraire et l’envie de découvrir cet auteur qui nous a quitté durant l’année – a permis à ce petit roman d’être sauvé de l’encartonnage et de rejoindre le cercle très fermé de mes prochaines lectures. Pour tout avouer, je n’avais absolument aucune idée de ce dans quoi je m’embarquais : je ne connaissais alors l’auteur que de nom, et même si j’étais plutôt intriguée par le titre – qui ne me semblait pas correspondre à l’illustration de couverture, qui plus est –, je n’avais même pas lu le résumé ni la moindre chronique à son sujet. Pas le moindre a priori, pas la moindre attente, juste l’envie de plonger dans l’inconnu …
Il y a bien des années de cela, après avoir quitté le petit village de son enfance avec sa femme pour aller s’installer au cœur d’une exploitation de colonisation de l’Amazonie, après avoir perdu sa bien-aimée et avoir vécu aux côtés des indiens Shuars qui lui ont appris à aimer, respecter et connaitre la jungle, le vieil Antonio est revenu à la « civilisation ». Depuis lors, il passe la plus grande partie de ces journées à lire des romans d’amour que son ami le dentiste lui apporte tous les six mois, lors de sa fameuse et douloureuse « consultation » biannuelle. Mais son nouveau quotidien bien rodé et bien tranquille brise en éclat lorsqu’un gringo, ces touristes américains qui ne respectent rien ni personne, et surtout pas les lois immuables et implacables de la vie sauvage, tue des bébés jaguars pour leur fourrure … La mère, folle de douleur, se met en chasse : l’homme paiera, les hommes paieront pour la mort de ses rejetons. Alors, le maire demande à Antonio, l’un des meilleurs chasseurs de la communauté, de s’occuper du fauve …
C’est toujours difficile de parler d’un livre aussi court que celui-ci : il en faut peu pour en dévoiler trop, pour gâcher le plaisir de la découverte pure. Je pense que je n’aurai pas tant savouré ma lecture si j’en avais su plus au moment de l’entamer : c’est vraiment le fait de m’y être plongée sans avoir la moindre idée de ce qui m’attendait qui a rendu cette lecture si envoutante. Pas extraordinaire, car l’auteur ne sombre jamais dans le spectaculaire, mais enchanteresse. Comme la forêt amazonienne qu’il nous décrit avec force et détails, cette forêt foisonnante de vie, cette forêt à la fois si belle et si cruelle à l’encontre de ceux qui ne savent pas s’y comporter avec déférence et prudence. Cette forêt qui nous habite, le temps d’une petite centaine de pages, avec sa moiteur, sa chaleur, avec ses chants d’oiseaux, avec ses rires de singes, avec ses silences qui annoncent la mort en approche. Avec bien peu de mots, l’auteur nous immerge complétement dans cette jungle aux mille couleurs et aux mille visages, cette canopée qui constitue le cœur et le poumon de notre planète mais qui dépérit à petit feu, la faute à l’homme, sa stupidité, sa cupidité.
Car voici bien ce que nous relate ce roman aux accents de fable : les débuts de la déforestation intensive par les colons, ces hommes blancs persuadés d’être les maitres du monde, convaincus de détenir la science infuse, qui rabaissent et dénigrent les autochtones, ces « sauvages » qui vivent à moitié nus et se nourrissent de viande de singe. Et pourtant … Pourtant ce sont eux les véritables sages. Eux qui savent comment vivre en harmonie avec la nature, car ils ont bien compris que sans elle, ils ne sont rien. Eux qui savent comment cohabiter avec les animaux, même les plus dangereux, sans attirer leur courroux vengeur. Alors que l’homme blanc, lui, agit sans réfléchir : il veut montrer qu’il est « le plus fort », alors il tue d’innocents petits jaguars pour se parer de leur fourrure, sans songer une seule seconde à la souffrance qu’il inflige à la mère, sans imaginer un seul instant qu’il vient de condamner tous les autres à cause de sa seule arrogance. Ce livre dépeint avec lucidité la folie humaine, la barbarie des hommes qui se disent « civilisés » et qui pilent allégrement les ressources planétaires pour leur petit plaisir immédiat, sans penser aux conséquences de leurs actes.
Mais pourtant, il se dégage de ce livre une certaine douceur. Comme si la sérénité du vieil Antonio contrebalançait toute cette violence. Pour passer le temps, tandis que ses compatriotes anéantissent doucement cette forêt verdoyante et bienveillance, le vieux lit des romans d’amour. Des romances un peu niaises, où tout se finit bien malgré les déchirantes péripéties qui empêchent les tourtereaux de vivre en paix. Des romances à l’eau de rose qui égayent ce rude quotidien et occupent ses vieux jours. Il ne les dévore pas, loin de là : il les déchiffre laborieusement, syllabe après syllabe, à haute voix, lentement mais patiemment. Ses livres sont ses plus grands trésors – avec son dentier, indispensable, et sa loupe, inestimable – et il les savoure même quand il ne comprend pas tous les mots. J’ai trouvé cela très touchant de voir ce vieil homme lutter vaillamment pour progresser dans sa lecture, mais sans jamais se décourager, alors que trop de nos jeunes crachent sur les livres qu’ils considèrent un peu « trop compliqués » car il faut se concentrer et réfléchir … Ce n’est peut-être pas le sujet principal, mais j’ai trouvé cette ode à la littérature (non pas la « grande littérature » des auteurs classiques, mais celle de tous les jours, de tout le monde) vraiment émouvante !
En bref, vous l’aurez bien compris, ce petit roman fut une très agréable surprise. Bien sûr, il ne s’y passe « pas grand-chose » de palpitant, mais il dégage vraiment quelque chose d’à la fois très puissant et très élégant. La beauté dans la simplicité, la force dans la douceur. L’auteur n’est pas tendre à l’encontre de la nature humaine, il se pose en défenseur de la nature – faune et flore – et n’hésite pas à critiquer vertement les conduites inacceptables de ces gringos qui ne songent qu’à faire le plein de sensations fortes pour aller fanfaronner devant leurs amis … Mais surtout, il loue la beauté de la forêt amazonienne et de ses mille mystères, il glorifie la beauté des animaux sauvages et de leur intelligence. Il fait naitre en nous la révolte face à la manière dont l’homme détruit cette jungle et massacre ces bêtes, la façon dont l’homme écrase les civilisations « primitives » au lieu d’apprendre de leur expérience ancestrale. Il nous donne envie de mettre fin à toutes ces horreurs perpétuées au nom du « progrès », de la croissance économique et de cette volonté de « profiter de la vie » au détriment de celle des autres … Un petit récit, oui, mais essentiel.