Une petite ville de province au milieu des années 1970. Plusieurs familles d'instituteurs, de la maternelle au CM2, habitent des logements de fonction dans l'école Denis-Diderot. Les gamins, les parents, hommes et femmes, un microcosme représentatif d'une époque en plein chamboulement...
Encore un excellent roman de Jean-Philippe Blondel, écrivain que je connais peu mais qui m'enchante à chaque fois que j'ouvre un de ses ouvrages. La grande qualité de cet auteur - à mes yeux - c'est de nous parler de choses sérieuses sur un ton très amusant. Ici, il est principalement question de la place de la femme dans la société à cette époque charnière de notre histoire.
La situation de départ, un vivarium (l'école) où des personnages des deux sexes et leur progéniture vont réagir à l'air du temps sous l'œil acéré de l'écrivain. Les enseignants sont socialistes comme il se doit, prônant des idées libérales à l'extérieur mais beaucoup moins chez eux ; leurs épouses sont les femmes typiques d'alors, soumises à leur père et maintenant à leur mari, elles s'occupent des tâches ménagères et des gamins. Mais le vent du changement s'est infiltré entre les murs de l'établissement scolaire et ces épouses modèles qui gardaient cachés leurs espoirs et envies vont commencer à s'émanciper.
La culture pop envahit les vies, les anglicismes agacent, la musique moderne que fredonnent les gamins ou la radio exaspère certains, les carcans se desserrent, la mixité fait son entrée dans les classes des écoles. Les gamins font des bêtises de gamins, des épouses se mettent à regarder les collègues de leur maris avec des idées leur mettant le rose aux joues, d'autres s'en indignent. L'une d'elles, rêvant secrètement depuis toujours d'être styliste se voit proposer un poste qui chamboulera sa vie familiale si elle l'accepte.
Et les hommes ? Ils assistent impuissants à cette évolution généralisée. Maladroits, coincés dans leur formatage hérité des générations précédentes, pas complètement réfractaires aux nouvelles idées mais incapables de les accepter immédiatement, ils paraissent un peu minables face à ces femmes en passe de s'émanciper, dans ce monde en pleine mutation. Et parmi les gosses, le petit Philippe Goubert pourrait fort bien être un avatar de Jean-Philippe Blondel puisqu'il déclare " Philippe Goubert ne perd pas une miette des récits. Il devine qu'un jour, il faudra les retranscrire. "
Le fond est donc sérieux, la forme elle, est très amusante, même parfois carrément loufoque (la longue scène épique où la femme de service espagnole hurle à poil à travers les couloirs !), ou bien encore tendre et émouvante lors de l'escapade foirée à Paris entre deux amants potentiels. Un très bon roman.
" Ces trois femmes, qui glissent maintenant le long du mur de briques pour rejoindre l'entrée de l'école maternelle au premier étage de laquelle se situe le logement de fonction des Goubert, n'hésitent pas à se déclarer féministes alors même qu'elles passent le plus clair de leur temps à obéir aux diktats imposés par leurs conjoints. Ceux-ci se prononcent en faveur du travail féminin (on n'est pas au Moyen Âge et puis on ne crache pas sur un salaire supplémentaire) mais froncent le sourcil devant les velléités d'indépendance de leurs épouses. Lorsque Marie-Dominique Ferrant a émis l'idée de partir quelques jours à Lille retrouver sa meilleure amie d'enfance, son mari a poussé les hauts cris, avant d céder finalement devant la menace d'une grève totale et générale de la cuisine. "