L’infertilité pour les nuls

L’infertilité pour les nuls

Un bébé si je peux (Marie Dubois – Editions Massot)

C’est un sujet dont on ne parle pas beaucoup car il reste souvent tabou, mais l’infertilité est devenue au fil des ans un véritable phénomène de société. Aussi étonnant que ça puisse paraître, un couple sur cinq rencontre aujourd’hui des difficultés pour avoir un enfant. Et le problème ne fait que s’aggraver, notamment parce que le taux de spermatozoïdes a chuté de moitié au cours des 40 dernières années. Les perturbateurs endocriniens, ces fameuses substances que l’on retrouve partout dans notre environnement, que ce soit dans les tissus, les plastiques, les cosmétiques ou les aliments, jouent eux aussi un rôle extrêmement négatif, au point même de pousser l’OMS à les qualifier depuis 2013 de menace pour la santé et la fertilité. Et puis bien sûr, le facteur qui joue sans doute le rôle le plus important dans l’augmentation de l’infertilité est l’âge auquel les femmes décident d’avoir leur premier enfant. Entre 1978 et 2017, l’âge moyen auquel les femmes deviennent mères pour la première fois en France est passé de 24 à 30,6 ans. Cette évolution a forcément un impact sur les projets de grossesse, étant donné que la fertilité des femmes baisse à partir de 35 ans. Il est même scientifiquement prouvé que 30% des femmes ne réussiront pas à avoir d’enfants à partir de 38 ans. Or, on sait que c’est la vie moderne qui pousse les femmes à reporter de plus en plus loin leur projet de tomber enceinte, notamment parce que beaucoup d’employeurs pénalisent celles qui partent en congé de maternité. Des fois, elles sont écartées des prises de décision ou des postes les plus intéressants. D’autres fois, elles sont même carrément licenciées… Ce sont tous ces éléments interpellants qui ont poussé l’autrice Marie Dubois à s’intéresser de plus près au phénomène de l’infertilité. Elle l’a d’abord fait sous la forme d’une BD reportage d’une trentaine de pages publiée dans la revue XXI en 2019, mais cette parution a généré tellement de réactions qu’elle a décidé d’en faire une bande dessinée complète, intitulée « Un bébé si je peux ». Dans ce livre, la jeune femme mène une véritable enquête journalistique sur l’infertilité et sur les difficultés de la procréation médicalement assistée, mais elle raconte aussi et surtout sa propre expérience. Il faut dire que Marie Dubois sait clairement de quoi elle parle, puisqu’elle-même a mis sept ans à faire un enfant. Au départ, ça lui paraissait pourtant la chose la plus simple au monde. Après quelques années de vie à deux, Marie et son compagnon se disent que c’est le bon moment pour passer à une vie à trois. Mais hélas, malgré tous leurs efforts, rien ne se produit… Ils décident donc de passer des examens pour comprendre d’où vient le problème. C’est à ce moment qu’il apparaît que Marie est atteinte d’un dérèglement hormonal sévère qui fait en sorte que ses ovaires sont paresseux, sans doute à cause des perturbateurs endocriniens. Commence alors un véritable parcours du combattant, composé de stimulation hormonale, d’insémination artificielle et de fécondation in vitro. A chaque nouvelle tentative, Marie passe par d’éprouvantes montagnes russes émotionnelles…

L’infertilité pour les nuls

Ce qui est génial avec la bande dessinée d’aujourd’hui, c’est qu’elle est capable d’aborder absolument tous les sujets, même les sujets les plus sensibles et les plus tabous. C’est le cas de la BD « Un bébé si je peux », qui met en lumière un phénomène aussi invisible que douloureux: l’infertilité. Evidemment, ce livre parlera en premier lieu à toutes celles et tous ceux qui sont directement concernés, en les rassurant sur le fait qu’ils ne sont pas les seuls à en souffrir et qu’il existe des solutions pour s’en sortir. Mais « Un bébé si je peux » est aussi une lecture à recommander à un public beaucoup plus large. D’une part parce qu’il s’agit d’une BD très bien faite et très accessible, mais aussi et surtout parce que Marie Dubois nous ouvre les yeux sur certains comportements à éviter. Ce qui frappe dans cet ouvrage, ce sont en effet les remarques et les gestes déplacés, y compris de la part de certains médecins, qui tiennent parfois des propos aberrants. Certains affirment que c’est le manque d’amour qui bloque l’ovulation, par exemple, tandis que d’autres lient l’infertilité à un conflit non résolu avec sa propre mère. Mais il n’y a pas que les experts qui se montrent maladroits. Il nous arrive tous de faire des bourdes sur ce sujet, même sans le vouloir. Souvent, on veut bien faire, mais en réalité, des réflexions telles que « arrête d’y penser et ça viendra tout seul », « c’est dans ta tête » ou « il suffit de lâcher prise » sont très dures à entendre pour toutes celles qui sont confrontées au problème. On culpabilise quasiment systématiquement les femmes concernées par l’infertilité, en attribuant leur difficulté à avoir un enfant au stress ou à un blocage psychique, alors qu’aucune étude ne le prouve. Evidemment, on peut se dire que le sujet de cette BD est très lourd, ce qui pourrait dissuader certains lecteurs. Mais ce serait une erreur de passer à côté de ce livre, car en réalité il est étonnamment léger et facile à lire. Grâce au style graphique vif et enjoué adopté par Marie Dubois, mais aussi à son ton à la fois pédagogique et humoristique, cette bande dessinée vulgarise à merveille la problématique de l’infertilité. Et du coup, elle nous permet de mieux comprendre ce phénomène, et même souvent d’en rire.