Ça vous intéresse, vous, un polar sur fond de tatouages japonais ? Moi non, absolument pas. D’abord parce que l’univers du tatouage m’est totalement étranger, ensuite parce que la culture nippone ne m’attire pas du tout. On ne pouvait donc faire pire entrée en matière. Et pourtant…
Pour la seconde fois consécutive, les éditions Plon ont réussi un tour de force en me transportant très loin de mes univers de prédilection et en ébranlant toutes mes convictions en matière de polars. Après Gamine guerrière sauvage, voilà que Jeu de peaux a été bien plus qu’une excellente découverte, ce fut un vrai, beau et franc coup de coeur.
Ce roman au titre évocateur s’ouvre sur la convocation de Juliano Rizzoni au siège de la PJ. Le jeune homme, mondialement connu pour son oeuvre artistique tout autant que pour sa fortune colossale héritée au décès de ses parents, est interrogé par la police dans le cadre d’une drôle d’affaire. Il y a quelques années de cela, l’artiste a choisi de séjourner au Japon pour se former auprès d’un maître à la technique du tatouage Irezumi. Un art exigeant qu’il a appris à maîtriser au fil des mois avant d’être lui-même en mesure de le pratiquer. Mais l’artiste dont les toiles se négocient à coup de millions dans les salles de vente, ne réalisera que dix tatouages sur le dos de proches. La rareté de ces oeuvres leur octroie une valeur inestimable, ce dont leurs propriétaires ont bien conscience. Or, contre toute attente, ces dix oeuvres vont être mises aux enchères. Déposés anonymement à la salle de vente, ces dix tatouages se présentent désormais sous forme de toiles. Mais où sont passés les corps de leurs propriétaires ? Avec une telle surface de peau retirée, on ne peut qu’imaginer une destinée tragique…
Les dix peaux tatouées ont été déposées à 14 heures, soit il y a… (il jette un oeil à sa montre) exactement une heure à l’Institut médico-légal de Paris, dans le XIIe. Nous nous sommes déplacés, le procureur, l’inspecteur et moi-même hier soir, chez Sotheby’s après cette livraison pour le moins étrange, pour observer ce lot de peaux humaines fort peu commun. Je dois dire que j’ai été impressionné. Les tatouages sont en parfait état de conservation. Les peaux ont été tannées de manière traditionnelle, comme si elles avaient été préparées pour être mises en vente.
Toutes mes craintes relatives au thème du tatouage japonais se sont envolées dès les premières pages car le roman d’Anouk Shutterberg séduit d’emblée par son rythme, sa singularité, la fascination qu’exerce sur le lecteur la personnalité du personnage central.
L’ambiance est pesante et chargée de mystères et d’incohérences, on avance dans un univers mêlant l’esthétisme de l’art à la plus grande des perversions. Le beau et le laid se côtoient au fil des pages, le malaise s’intensifie à mesure que l’on découvre l’étendue des dommages. Tout dépasse l’imagination et l’entendement.
C’est un roman qui choque, qui bouscule et qui renverse tout sur son passage. Un roman à proscrire aux âmes sensibles, le sadisme y est omniprésent. Et même si la fin est totalement improbable (remarquez, le début aussi, enfin je l’espère), on se laisse porter par l’imagination de l’auteure, comme dans un conte peuplé de très mauvaises fées. C’est totalement hallucinant comme histoire et parfaitement invraisemblable mais qu’importe, on a envie de croquer cette pomme à pleines dents car on comprend vite qu’il ne nous sera pas donné de goûter de sitôt un fruit aussi délicieusement défendu.
L’ESSENTIEL
Jeu de peaux
Anouk SHUTTERBERG
Editions Plon
Sorti le 01/04/2021 en GF
362 pages
Genre : polar
Plaisir de lecture :
Recommandation : oui
Lectures complémentaires : Gamine guerrière sauvage d’Eric Cherrière, Résine d’Ane Riel, L’empathie et Fermer les yeux d’Antoine Renand
RÉSUMÉ DE L’ÉDITEUR
Un thriller vertigineux dans l’univers fascinant et inquiétant du tatouage traditionnel japonais.
2019. À trente-trois ans, Juliano Rizzoni est un jeune peintre prodige encensé par la scène artistique contemporaine internationale.
Jet-setter et jouisseur à l’extrême, il affole autant les Unes des tabloïds que les galeries prestigieuses du monde entier.
Initié au Japon à la technique du tatouage Irezumi, aussi violente qu’ancestrale, il signe dix tatouages d’art sur le dos de ses amant(e)s.
L’affaire prend une tournure inquiétante lorsque les peaux tatouées sont déposées anonymement chez Sotheby’s Paris pour une mise aux enchères hors norme.
En l’absence de corps, le commissaire Stéphane Jourdain et l’inspectrice Lucie Bunevial, sont saisis de l’enquête pour homicides multiples….
Une affaire sanglante et terrifiante qui les mènera d’un bout à l’autre de la planète dans le milieu de l’art contemporain.
TOUJOURS PAS CONVAINCU ?
3 raisons de lire Jeux de peau
- On se passionne pour l’histoire
- On se délecte de la galerie de personnages
- On est incapable de deviner le fin mot de l’histoire
3 raisons de ne pas lire Jeux de peau
- On se pince parfois pour y croire
- On se dit quand même que la fin est un peu téléphonée
- On regrette que ça soit aussi court finalement
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