Sorti il y a une semaine aux éditions Belfond, ce roman de Karin Tanabe m'a embarquée dès les premières pages. Il vous fera voyager : changer de pays pour l'Indochine, changer d'époque pour celle de l'expansion du communisme.
Je vous laisse avant tout découvrir la quatrième de couverture : Héritiers de la riche famille Michelin, Victor Lesage et sa femme Jessie sont envoyés à Hanoï pour reprendre en main les exploitations d'hévéas, ces arbres au caoutchouc naturel si convoité, au centre des tensions anticoloniales.Tandis que Victor s'investit dans sa mission, Jessie, elle, tente de naviguer dans le milieu fermé des expat'. Pour cette Américaine, très secrète sur son passé, trouver sa place dans cette nouvelle vie n'est cependant pas chose aisée... jusqu'à sa rencontre avec l'intrépide et passionnée Marcelle de Fabry. Avec elle, Jessie fait l'expérience d'un autre Hanoï, interlope, sensuel, nimbé de vapeurs d'opium.
Mais Jessie le sent : l'amitié de Marcelle n'est pas désintéressée. Comme elle, la belle Parisienne cache des choses, une vérité indicible sur les réelles motivations de sa présence sur ces terres du bout du monde où gronde la colère communiste... Combien de temps pourront-elles poursuivre ce jeu de dupes ? Car le destin d'une nation entière est en route, irréversible, et ces deux femmes auront chacune un rôle à jouer dans sa chute, et sa renaissance.
Dans ce roman, le lecteur est un peu malmené du début à la fin. On découvre une héroïne étrange, dont on ne sait pas si on peut lui faire confiance, elle semble perdre la mémoire, la tête... On est immergé dans un univers riche, foisonnant d'odeurs, de couleurs, de personnes différentes : une colonie avec ses règles sociales bien définies et auxquelles nos héros eux-mêmes ne sont pas habitués. Dans ce pays différent, un îlot où l'adaptation est rapide : le Club. Là-bas, Jessie rencontrera Marcelle, une femme forte, rebelle qui plaît instantanément à notre jeune héroïne. Toutes deux ne viennent pas de cette société huppée dans laquelle elles évoluent, ce point commun va donner à Jessie l'espoir d'une amitié sincère.
Mais peut-il y avoir sincérité quand tout le monde ment ? Quand la direction de Michelin affirme œuvrer pour le bien-être de ses ouvriers alors qu'elle les torture dès qu'elle apprend qu'ils sont communistes ? Quand les hommes et les femmes se trompent au vu et au su de tous ? Quand l'opium désinhibe les individus ? Quand les esclaves les plus fidèles sont les plus traîtres ?
Le roman oscille constamment entre les points de vue de Marcelle et de Jessie, ce qui nous fait sentir toute l'hypocrisie de cette relation. Il oscille également entre passé et présent. Que font ces femmes ici ? Que veulent-elles ? Et la vérité est difficile à pressentir, vraiment.
Mais c'est moralement que ce roman est le plus surprenant. Quel que soit votre point de vue, vous vous retrouvez du côté des colonialistes. C'est pour eux que l'on tremble. Les anticolonialistes ne sont pas peints avec noirceur, ils ne sont pas aveuglés ou fanatiques, mais n'empêche que dans leur quête justifiée d'égalité et d'indépendance, certains deviennent dangereux. L'autrice parvient à les laisser du côté des méchants sans que jamais le lecteur ne soit obligé de les juger et de les condamner. Ce sont des personnages multiples, qui sont dans l'erreur ici, mais pas dans l'absolu, qui savent aimer et qui ont des valeurs. Quant à Jessie et son mari, ils sont cupides, ils font tout pour obtenir ce qu'ils veulent, une bonne place chez Michelin pour lui, un avenir assuré à sa fille pour elle, peu importe tout ce sur quoi ils doivent fermer les yeux. Sont-ils dérangés dans leur morale, dans leur humanité ? Un peu oui. Cela suffit-il à leur faire revoir leur position ? Bien sûr que non ! Et pourtant, on les aime bien.
C'est, pour moi, un bilan très positif de cet ouvrage qui a des airs de romance, de roman de formation, de récit de voyage, de roman historique et de thriller. Et tout fonctionne ! A merveille !
Priscilla