La femme muette de Mathieu Albaizeta

Par Lettres&caractères

Une femme meurt tous les deux jours sous les coups de son conjoint. Le 17 juin 2013 était le jour de Louise.

La femme muette de Mathieu Albaizeta (éditions des lacs)

Pourtant rien ne pouvait laisser penser que cette retraitée discrète avait été la victime de son mari, des années durant. Avant ce jour fatal, il n’y avait eu aucune trace d’ecchymose à maquiller. Pas de cocard à faire passer pour une rencontre aussi fortuite que fracassante avec le bouton d’une porte. C’est à peine si l’on savait qui était cette femme tapie dans l’ombre de son mari. Devenue insignifiante aux yeux des autres après l’avoir été aux yeux de son mari, Louise s’est éteinte à mesure que l’amour a déserté son couple et que son époux s’est montré ouvertement infidèle, lui faisant payer de cette manière sa seule présence. René avait pourtant été le fiancé idéal dans les années 60 et la promesse d’un amour éternel avait plané au-dessus de leur union. Mais d’année en année, de décennie en décennie les sentiments de l’une n’ont plus rencontré que l’indifférence et le mépris de l’autre. Au lieu d’avoir le courage de quitter Louise, René va s’atteler à la détruire moralement non par lâcheté mais par perversion. Tel un pantin désarticulé, Louise devient le passe-temps d’un mari sadique. Impossible d’en dire plus sur ce livre, les scènes serrent le coeur et pourtant il n’y a pas de sang, juste des larmes et un désarroi abyssal.

Le véritable bonheur grandit dans le silence d’un regard. Le malheur aussi. Et il finit par nous enterrer, sans bruit. Je vous l’écris parce que je n’ai pas su le crier.

Mathieu Albaizeta n’a pas cédé à la facilité en s’emparant du thème de la violence conjugale, au contraire, il est allé chercher la forme la moins spectaculaire, la moins sensationnelle pour rappeler qu’il n’y a pas que les coups qui blessent et qui tuent. La destruction de l’autre par emprise psychologique a cela d’absolument terrible qu’elle passe inaperçue aux yeux de l’entourage, et plus encore de la justice et des forces de l’ordre. Un pervers saura toujours se montrer charmant dès qu’il aura passé le pas de la porte, il est quasiment impossible de le confondre alors il reste la prévention et la sensibilisation pour aider les potentielles victimes à repérer les comportements inquiétants avant qu’il ne soit trop tard. Il reste, et c’est bien plus difficile, à aider celles qui sont déjà tombées dans le piège si c’est encore possible, si elles le veulent bien, si la peur de vivre sans leur bourreau ne les tétanise pas. La femme muette est un roman d’une grande sobriété et d’une réelle intelligence qui évite toute surenchère pour traiter de ce sujet complexe et forcément passionné. J’ose espérer que parmi tous ses lecteurs, ce livre saura venir en aide à celles qui en ont besoin mais n’osent pas le demander. Alors il aura connu la plus belle des destinées.


L’ESSENTIEL

Couverture de La femme muette de Mathieu Albaizeta

La femme muette
Mathieu ALBAIZETA

Editions des lacs en GF
Sorti en GF le 20/10/2020
180 pages

Genre : roman contemporain
Plaisir de lecture :
Personnages : Louise et René
Recommandation : oui
Lectures complémentaires : Notre part de cruauté d’Araminta Hall, Un mariage anglais de Claire Fuller, Une relation dangereuse de Douglas Kennedy

RÉSUMÉ DE L’ÉDITEUR

Le 17 juin 2013, Stéphane Richard reste à la tête d’Orange, le parti socialiste essuie une nouvelle défaite à l’élection partielle de Villeneuve-sur-Lot, et Louise Andrieu est retrouvée morte à son domicile. Tous ceux dont la vie est ponctuée par la mort des autres encerclent ce qui était, il y a encore une demi-heure, le corps frêle mais vivant d’une coquette dame âgée : les gendarmes et le médecin de famille, lui aussi alerté par le veuf. Mais… Est-elle morte ce jour de juin 2013 ou un après-midi d’été, en 1963 ? Quand d’un côté, la haine remplace progressivement l’amour et que de l’autre, l’amour continue de tout pardonner, plongez dans l’abîme d’une vie subie dans laquelle le silence est… assourdissant.



TOUJOURS PAS CONVAINCU ?

3 raisons de lire La femme muette

  1. Parce que les personnages sont d’une réelle finesse psychologique
  2. Parce qu’une fois débuté, vous n’aurez plus qu’une obsession : le terminer
  3. Parce que l’on traverse cinq décennies pour s’apercevoir que si le monde a changé, l’enfer conjugal, lui, n’a pas pris une ride

3 raisons de ne pas lire La femme muette

  1. Peut-être si le sujet vous touche de trop près, pourtant j’ai tendance à croire que c’est justement dans ce genre de situation que ce livre peut s’avérer indispensable
  2. Si vous lisez pour vous évader et non pour vous questionner
  3. Si vous êtes dans une période de creux : inutile d’aller un peu plus vous plomber le moral, attendez plutôt le bon moment pour ouvrir ce petit bijou

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