Entre les lignes (Dominique Mermoux – Baptiste Beaulieu – Editions Rue de Sèvres)
La BD « Entre les lignes » démarre sur un coup de tonnerre. Denis, le père de Baptiste, déboule comme une furie dans le cabinet médical de son fils, avec lequel il est pourtant en froid depuis des mois, pour lui faire part d’une découverte qui le met dans tous ses états. « Il nous a menti toutes ces années », s’emporte Denis. Il est tellement furieux qu’il finit même par faire un malaise cardiaque et s’écrouler sur le sol, sous les yeux de Baptiste. Mais qu’est-ce qui a bien pu susciter chez lui un tel énervement? Six mois plus tôt, après la mort de son père Moïse, Denis a découvert trois carnets dans une vieille malle. Depuis lors, ces carnets l’obsèdent jour et nuit, au point de lui faire oublier de prendre ses médicaments pour le cœur. Il faut dire que le contenu de ces fameux carnets est plutôt interpellant. Ils renferment des dizaines de lettres dans lesquelles Moïse raconte sa vie depuis les années 1910 jusqu’aux années 1950. Mais à la grande surprise de Denis et de Baptiste, la vie pleine de rebondissements décrite par leur aïeul ne correspond absolument pas à la vie plutôt morne menée par leur père et grand-père durant ses dernières années… Plus étonnant encore, Moïse a adressé toutes ces lettres à une certaine Anne-Lise Schmidt, dont personne n’a jamais entendu parler. Moïse lui a écrit une lettre tous les 3 avril pendant des dizaines d’années… Une fois son père hors de danger, Baptiste décide de reprendre l’enquête menée par son paternel, contraint au repos forcé pendant quelques semaines, pour retourner sur les traces de l’enfance de Moïse et essayer de retrouver cette fameuse Anne-Lise Schmidt. Il commence par se rendre à Vireux, dans les Ardennes françaises, tout près de la frontière belge, où son grand-père a grandi. Dans le train qui l’amène jusque là-bas, il se passionne à son tour pour les carnets de Moïse. Il scrute également cette fameuse photo sur laquelle on voit Denis enfant avec ses parents, tandis qu’une petite-fille avec un doudou dans les bras se trouve à l’arrière-plan. Sans savoir pourquoi, Baptiste sent que la clé du mystère est quelque part sur cette photo. Mais une fois sur place, le jeune homme a évidemment bien du mal à retrouver des témoins de l’époque. Pour faire plaisir à son père, il décide alors de lui faire croire qu’il a retrouvé des descendants des personnes mentionnées dans les lettres de Moïse à Anne-Lise… C’est l’occasion pour les deux hommes d’enfin se rapprocher.
Depuis quelques années, de plus en plus de romans à succès sont adaptés en bande dessinée. Dans certains cas, la réussite est au rendez-vous, comme ce fut le cas pour « Vernon Subutex », « 1984 » ou « Un avion sans elle », pour ne citer que trois exemples parmi tant d’autres. Cela dit, il faut être honnête: c’est souvent aussi très mauvais. Sans citer de noms, il arrive régulièrement que la version BD d’un roman passe totalement à côté de son sujet, surtout lorsque le récit est très dense et difficile à résumer en quelques planches. Heureusement, ce n’est pas du tout le cas de la BD « Entre les lignes », qui donne vie avec beaucoup de sensibilité et d’émotion à un roman de Baptiste Beaulieu. On ne peut qu’applaudir le magnifique travail d’adaptation de Dominique Mermoux, qui est vraiment parvenu à conserver le côté romanesque du livre « Toutes les histoires d’amour du monde », paru aux éditions Mazarine en 2018. Il faut dire que Dominique Mermoux et Baptiste Beaulieu avaient déjà travaillé ensemble sur la BD « Les mille et une vies des urgences », qui était déjà une très belle réussite. Ce qui est intéressant dans « Entre les lignes », c’est qu’il s’agit en quelque sorte d’une BD « deux en un ». En effet, on suit en parallèle le parcours de Moïse, via les lettres qu’il écrit à la mystérieuse Anne-Lise Schmidt, et l’enquête de Baptiste, qui tente de retrouver des témoins de l’époque. Pour mettre en images cette double histoire, Dominique Mermoux a eu l’excellente idée d’adopter deux styles graphiques différents pour alterner entre les deux époques. Les scènes des années de jeunesse de Moïse sont réalisées au crayon avec beaucoup de texte sur le côté des pages, tandis que celles qui parlent de l’enquête de Baptiste sont réalisées dans un style de bande dessinée plus classique, avec des cases et des bulles. Cette trouvaille graphique contribue clairement à donner plus de rythme à cette BD, qui demande un certain temps de lecture puisqu’on est sur un livre de 170 pages avec souvent beaucoup de texte. Mais on ne regrette à aucun moment le temps consacré à cette bande dessinée, car on traverse quasiment tout le vingtième siècle et on se passionne véritablement pour le destin tragique de Moïse dans cette période très agitée. Et puis surtout, « Entre les lignes » est une magnifique histoire de retrouvailles entre trois générations: Moïse le grand-père, Denis le père et Baptiste le petit-fils. Alors qu’ils avaient beaucoup de mal à se comprendre, ils vont se rapprocher au fil des pages. En se parlant et en se découvrant, ils parviennent enfin à atténuer les souffrances terribles que peuvent causer les non-dits et les secrets de famille. C’est donc un livre qui respire la sincérité et l’amour. Certains lecteurs verseront même peut-être une petite larme. Tout comme le roman, cette BD est d’autant plus belle et émouvante qu’elle est inspirée d’une histoire vraie.