Rivale royaliste de Mme de Staël, la comtesse de Genlis (1743-1830) mena de front une carrière politique et une carrière littéraire. D’abord réticente à ce que des femmes briguent la gloire littéraire, elle revint sur cet avis avec l’âge et le succès : « Pourquoi serait-il interdit aux femmes d’écrire et de devenir auteurs? Je connais tous les raisonnements qu’on peut opposer à cette espèce d’ambition, je les ai moi-même employés jadis…. » (Mémoires, 1825).
La Femme auteur (1802) appartient à ce « jadis ». Dans cette courte nouvelle, Dorothée et Natalie sont deux sœurs orphelines. Pour rendre service, Natalie accepte de vendre ses écrits à un éditeur ; aussitôt, c’est le succès, l’escalade, et la dissolution de l’harmonie de l’espace privé. En vain sa raisonnable sœur Dorothée l’avertit-elle des dangers que la gloire fait peser sur la vie et la moralité des femmes.
L’aventure ne se termine pas mal, mais on y apprend tout de même la prudence. « Natalie finit par trouver ennuyeux et ridicule que personne ne pût l’aborder sans se croire obligé de lui parler de son ouvrage: elle remarqua sur plusieurs visages une expression qui lui déplut; elle s’aperçut qu’on n’avait plus la même bienveillance pour elle, et que, loin d’avoir elle-même dans la société le même agrément, elle y portait presque toujours une sorte de contrainte. Les gens d’esprit voulaient l’engager dans un genre de conversation qu’elle n’aimait pas… » Des autres femmes, elle se plaint particulièrement : « il n’y a point d’esprit de corps parmi les femmes ». Que l’on ne pense pas qu’il s’agit là d’obstacles insurmontables : Natalie, comme Mme de Genlis, vécut écrivaine et compensa ses déboires en société par des plaisirs littéraires… All is well that ends well.
Mme de Genlis, La Femme auteur [1803], folio, éd. Martine Reid, 2007, 2€.